Contacts, n° 217

N° 217 – 1er trim. 2007

Liminaire

Quelle stabilité intérieure peut nous apporter la prière du Nom de Jésus ? Tel est le thème de la méditation que nous offre ici un très grand spirituel orthodoxe du xxe siècle, l’évêque Antoine (Bloom), rappelé à Dieu il y a quatre ans.

Chacun se souvient de la polémique récente autour de la citation des paroles de Manuel II Paléologue à un érudit musulman, faite par le pape Benoît XVI dans un discours prononcé à Ratisbonne en septembre dernier. On connaît mal cet auteur byzantin et ses étonnants entretiens avec un musulman qui, réduits à une citation hors contexte, se sont trouvés indûment caricaturés par les médias. Non, l’empereur Manuel II Paléologue n’était pas un polémiste mineur mais un remarquable théologien orthodoxe, soucieux de répondre aux défis de son temps en dialoguant en profondeur avec l’islam. C’est ce que nous retrace brillamment Marie-Hélène Congourdeau dans son étude sur « Manuel II et l’islam ».

Ce que l’on sait moins, c’est que Manuel II Paléologue, personnalité humainement attachante, ami personnel de saint Nicolas Cabasilas, fut sans doute le premier « ambassadeur » de l’orthodoxie en France. C’est en effet à l’occasion de son long séjour à Paris, entre juin 1400 et novembre 1402, en tant qu’invité du roi de France Charles VI auprès de qui il venait chercher – en vain – une aide militaire face à la menace turque, que fonctionna la première paroisse orthodoxe connue dans l’histoire de France. Installée au Louvre (le château royal dont on peut admirer les fondations au musée du même nom), cette chapelle, mise à la disposition de la suite byzantine du basileus, obtint un succès extraordinaire auprès des Parisiens. Juvénal des Ursains, chroniqueur de l’époque, écrit à ce propos : « Faisoyent le service de Dieu suivant leurs manières et cérémonies qui sont bien estranges, et les alloit voir qui vouloit ».

Cinq siècles après le séjour de Manuel II en Occident devaient avoir lieu la révolution russe de 1917 et l’exil forcé pour des centaines de milliers de Russes, bien souvent guidés par la Providence vers l’Occident et la France. La grande figure du métropolite Euloge, dont on a récemment fêté le 60e anniversaire de décès, est ici admirablement évoquée par Antoine Nivière qui souligne combien cet évêque a marqué de son empreinte l’orthodoxie en France, notamment par la fondation de l’Institut Saint-Serge (on lira également dans la Bibliographie une recension des Mémoires du métropolite parus récemment en français). Mgr Euloge était un homme de la modernité : sorti de l’ère constantinienne envers laquelle il n’entretenait aucune nostalgie, il prônait l’autonomie et l’indépendance de l’Église vis-à-vis de l’État : « L’Église garde son autorité morale quand sa voix puissante, comme la voix de la conscience, retentit librement, quand elle ne se laisse rien dicter par les intérêts passagers du moment ». Ce message prophétique est toujours actuel notamment en Russie où il faudra attendre patiemment pour que l’Église, moins soucieuse de « travailler main dans la main » avec l’État, acquière une réelle autonomie envers le pouvoir en place, délaisse les objectifs trop étroitement nationaux et défende les principes de l’Evangile sans crainte de déplaire à l’Etat.

Suivent deux réflexions complémentaires sur le devenir de l’Orthodoxie face à la modernité. Dans la première, Astérios Argyriou réfléchit à l’hostilité marquée envers la modernité occidentale, qu’il décèle à la fois dans les Eglises orthodoxes traditionnelles et dans l’islam. Il reconnaît que la réalité religieuse est complexe et qu’il y a eu dans l’histoire de l’Orthodoxie des courants libéraux très – parfois trop – ouverts à la modernité. La seule alternative réside-t-elle dans une crispation identitaire sur la tradition et une dénonciation qui évoque l’attitude de l’Eglise catholique en 1864 lorsque Pie IX dénonçait dans son Syllabus l’hérésie moderniste et ses avatars : la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la démocratie, le libéralisme, le socialisme, la liberté religieuse, etc. ?

Sans doute, au nom même de la Tradition, reçue dans son acception spirituelle et ecclésiale, une autre voie est possible : celle d’une attitude prophétique dans un monde dont il faut accepter les mutations prodigieuses, où les aspirations de l’humanité à un mieux-être peuvent être éclairées et réorientées par la lumière de l’Évangile. C’est cette voie qu’explore le p. Michel Evdokimov dans sa réflexion autour de « quelques défis de la sécularisation », après une analyse lucide de la nouvelle donne de notre civilisation occidentale, marquée par une mondialisation croissante. Nous ne sommes certes pas appelés à prêcher une guerre sainte contre le sécularisme ambiant ou militant mais, plus sérieusement et plus profondément avec l’aide de l’Esprit Saint, à « éveiller tout homme au mystère de la vie, de la beauté, de la liberté des enfants de Dieu ».

Faisant un sain usage des bienfaits de la modernité, notre revue dispose désormais d’un site internet (www.revue-contacts.com) mis à la disposition des internautes. On y trouvera bientôt accès aux sommaires détaillés de nos anciens numéros et à quelques articles de référence.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 3-5]
« Contacts »

La Prière du Nom de Jésus, source de stabilité spirituelle
[p. 5-19]
Métropolite Antoine Bloom

Manuel II et l’islam
[p. 20-34]
Marie-Hélène Congourdeau

Le métropolite Euloge : personnalité et itinéraire d’un évêque russe en exil
[p. 35-61]
Antoine Nivière

Problèmes de rencontre de l’islam et de l’orthodoxie avec la modernité
[p. 62-74]
Astérios Argyriou

Quelques défis actuels de la sécularisation
[p. 75-88]
Michel Evdokimov

Bibliographie
[p. 89-115]
Le Philosophe et la vie – Bertrand Vergely
Le Culte des icônes en Grèce – Katerina Seraïdiri
Le Chemin de ma vie – Mémoires du métropolite Euloge
À l’image et à la ressemblance de Dieu – Vladimir Lossky
Discours ascétiques – Saint Isaac le Syrien
Le Psautier de David traduit et commenté – Jean-Louis Vesco
Le Partage de Minuit : Essai sur la Genèse – Jacques Cazeaux
Traité des sacrements II La confirmation – Jean-Philippe Revel
Le grand livre du jeûne – Jean-Claude Noyé