Contacts, n° 173

N° 173 – 1er trim. 1996

Liminaire

ENFIN, UN OECUMÉNISME CRÉATEUR

L’œcuménisme est souvent fait de belles paroles, qui n’engagent pas. Et qui lassent, à la longue. Mais voici que deux événements viennent d’intervenir, cette fois d’une importance réelle, peut-être décisive. Bien entendu, presque personne n’en a parlé. Alors, permettez-moi de le faire.
Le premier, c’est la note de clarification doctrinale sur la procession du Saint Esprit publiée par le Vatican à la demande de Jean-Paul II, le 13 septembre dernier. Cette note, admirablement argumentée, pourrait bien marquer la fin de la querelle du Filioque. On le sait, Filioque, en latin, signifie « et du Fils». L’Esprit Saint, ont dit les Pères latins depuis saint Ambroise et saint Augustin, procède non seulement « du Père», comme l’affirme Jésus dans l’Evangile de Jean, selon une formule reprise par le 2e Concile Œcuménique et introduite par lui dans le Credo, il procède « du Père et du Fils ». Je ne vais pas entrer dans la technicité du débat, qui n’intéresse plus grand monde en Occident et dont beaucoup d’orthodoxes, sans y comprendre grand chose, ont fait leur argument préféré pour démontrer que les catholiques sont « hérétiques ». Au moment du schisme de 1054, d’ailleurs, les Latins, de leur côté, affirmaient que les Grecs l’étaient parce qu’ils avaient amputé le Credo du Filioque, (en plus n’avaient-ils pas des prêtres mariés ! et barbus !). Personnellement, je pense que les filioquismes n’ont pas été une cause, mais un symptôme, le symptôme d’un certain amoindrissement du rôle du Saint Esprit  dans l’ecclésiologie occidentale, le prophétisme se trouvant soumis au sacramentalisme (d’où, pour une part, la Réforme). Depuis une vingtaine d’année, une réflexion en profondeur a été menée, notamment en France où la présence d’une forte diaspora orthodoxe ravivait intelligemment le problème. Du côté catholique, je voudrais souligner le travail admirable, souvent génial, réalisé par le Père Jean-Miguel Garrigues qui a dit là-dessus tout ce qu’il fallait dire. Je n’aime pas beaucoup parler de moi, mais, pour une fois, je voudrais rappeler que j’ai développé – superficiellement sans doute, comme d’habitude – des positions convergentes. On retrouve tout l’essentiel des recherches du Père Garrigues dans la note du 13 septembre. Nous pouvons maintenant comprendre le Filioque dans la perspective de l’Eglise indivise!
Or – et voici le second événement – la déchirure qui blesse l’Eglise indivise est en train de se cicatriser au Moyen-Orient, dans l’ère antiochienne. Lors du Synode de l’Eglise grecque-catholique tenu au Liban du 24 juillet au 4 août dernier, la presque totalité des évêques ont signé une profession de foi qui tient en deux points: 1) Je crois tout ce qu’enseigne l’Eglise orthodoxe; 2) Je suis en communion avec l’Evêque de Rome, dans le rôle reconnu par les Pères d’Orient au premier des évêques avant la séparation.
Ici, il faut saluer l’extraordinaire personnalité et l’action tenace de Mgr. Elias Zoghby, ancien archevêque de Baalbeck, et auteur de deux ouvrages profonds et passionnés, Tous schismatiques et Orthodoxe uni, oui, Uniate, non!
Or ce texte a été approuvé par un des plus grands évêques du Patriarcat orthodoxe d’Antioche, Mgr. Georges Khodr, avec l’approbation du Patriarche lui-même, Ignace IV Hazim. Mgr Georges a déclaré: « Je considère cette profession de foi comme posant les conditions nécessaires et suffisantes pour rétablir l’unité des Eglises orthodoxes avec Rome ». Dès maintenant, tout cela signifie l’abolition de la rupture uniate de 1724, la pleine communion rétablie dans l’ère antiochienne entre grecs-catholiques et grecs-orthodoxes, la continuité ou la reprise de la communion avec Rome telle qu’elle a été reconnue et vécue pendant le premier millénaire.
Que va dire Rome? Que vont dire les divers Patriarcats orthodoxes? Qu’importe après tout, la cicatrisation commence – non plus seulement dans les cœurs, mais pour la première fois, sur le plan des structures d’Eglise. N’oublions pas que c’est à Antioche que les disciples de Jésus furent, pour la première fois, appelés « chrétiens »!

Olivier Clément

Sommaire

Liminaire
Enfin un œcuménisme créateur
[p. 2-4]
Olivier Clément

L’Orthodoxie et la paix
[p. 5-3]
Elisabeth Behr-Sigel

La recherche de Dieu dans la tradition hésychaste
[p. 14-21]
Higoumène Syméon

Les poèmes spirituels des infirmes ambulants dans l’ancienne Russie
[p. 22-29]
Michel Evdokimov

Le problème de l’Orient et de l’Occident chrétiens dans la conscience religieuse de Vladimir Soloviev
[p. 30-48]
Nicolas Berdiaev

Nicolas Steinhardt et le « Journal de la Félicité »
[p. 49-57]
Olivier Clément

Bibliographie
· Microcosm and Mediator. The Theological Anthropology ofMaximus the Confessor – Lars Thunberg
[p. 58-59]
· Sur l’âme et la résurrection  – Grégoire de Nysse
[p. 59-60]
• L’Eglise orthodoxe hier et aujourd’hui – Jean Meyendorff
[p. 60-63]
L’incontounable Echange – Elisabeth J. Lacelle
[p. 63-65]
· Les chemins du cœur, la connaissance spirituelle dans la Philocalie –Javier Melloni
[p. 65-66]
· Au cœur du quartier latin, l’Eglise orthodoxe roumaine et l’ancien collège Jean de Beauvais – Jean-Paul Besse
[p. 66-68]
· Œcuménisme et eschatologie selon Soloviev
[p. 68-69]
· Le mystère de l’Eucharistie – Henryk Paprocki
[p. 69-69]
· Mystiques d’Orient et d’Occident – Ysabel de Andia
[p. 69-72]
· L’Eglise n’est-elle qu’une institution ? – Père André Borrély
[p. 73-74]
· Le chemin historique de l’Orthodoxie – Alexandre Schmemann
[p. 74-78]
· Quatre ermites égyptiens
[p. 78-79]
· « Je me tiens à la porte et je frappe »
[p. 79-80]