Contacts, n° 193

N° 193 – 1er trim. 2001

Liminaire

« Le chœur de l’Église est une chaire de théologie», écrivait naguère le père Cyprien Kern. Rien n’apparaît plus évident à la lecture de l’article lumineux d’Elizabeth Theokritoff, qui nous montre la place si centrale des Écritures dans les célébrations liturgiques, notamment celles du cycle pascal et de Noël. En ces temps de Carême, on méditera avec profit les admirables textes hymnographiques qui nous sont ici proposés. Loin d’être un élément simplement illustratif de la liturgie, ces textes si fortement inspirés des Écritures nous permettent de prendre conscience de notre expérience du salut et nous ouvrent à une intelligence spirituelle et théologique de la liturgie. Car en définitive ·ce même mystère du Christ annoncé par l’Écriture se trouve célébré et actualisé dans la liturgie: nous sommes conviés à marcher dans la vie nouvelle, celle inaugurée par la mort-résurrection du Christ.

À partir du roman de Soljénitsyne, Le Pavillon des cancéreux, le père Michel Evdokimov étudie le thème profondément humain de « l’homme en quête de liberté intérieure ». Les métastases qui rongent les corps des puissants comme des humbles, car tous sont ici logés à la même enseigne, font figure de symboles de métastases autrement redoutables, qui rongent le corps malade de la Russie. Camus, déjà, avait montré qu’une maladie, comme la peste, pouvait servir à illustrer une situation politique pleine de menaces, en l’occurrence la montée du nazisme. À l’image du romancier, le héros principal a traversé les formes de violence extrême de la guerre, des camps, du cancer, sans que soient entamés son intégrité, sa force vitale, son humour. Les romans de Soljénitsyne donnent une étonnante leçon d’espérance dans la vie. Les valeurs chrétiennes restent sous-jacentes: « J’étais mort en arrivant ici, maintenant je vis ». Ces mots du héros donnent à l’œuvre sa tonalité résurrectionnelle. Vivre en gardant sa liberté intérieure, plier mais non pas rompre sous les bourrasques de l’histoire, tel est le grand message d’humanité que nous donne l’auteur.

Dans « La mission commune des chrétiens dans le monde », le mot « chrétiens » désigne tous ceux qui, au-delà de leur appartenance ecclésiale sont embarqués dans la même galère, au sein d’un monde où ils se font minoritaires. Olivier Clément pose sur la société un regard de moraliste – il a enseigné la théologie morale à l’Institut Saint-Serge – non dans le sens d’une morale bardée de prescriptions et de certitudes, mais dans celui d’une étude de « mœurs », du comportement actuel des hommes privés de valeurs communes ou d’idéologie dominante. Travail décapant, salutaire, de démythologisation, de dénonciation de la fausse sacralisation des nations naguère prétendument chrétiennes. Dans un monde dominé par la quête d’un bonheur facile où tout s’achète et se vend le christianisme – et non la chrétienté des nostalgiques d’un passé constantinien – a toute sa place. Contre la violence de l’argent Il y a « la gratuité, ce qui ne sert à rien et peut tout éclairer, le sens de la beauté, la profondeur de l’amour». En rappelant l’importance de la divino-humanité dans le monde actuel, chère aux penseurs religieux russes, O. C. conclut sur une tirade de Dimitri Karamazov, et nous voilà ramenés aux grandes interrogations prophétiques russes.

Dans un texte brillant mûri par un homme doué d’un sens pastoral aigu, le père André Borrely renoue avec le thème du chrétien dans la ville, et apporte de nouveaux éléments de réponse aux interrogations d’Olivier Clément: que faire dans un monde urbain marqué par la solitude, la consommation, les souffrances morales nées de l’injustice? Donnée dans le titre, la réponse est « célébrer pour le monde dans la paroisse en frères réconciliés », dans la communauté eucharistique où Dieu, dans sa chair et son sang, s’offre gracieusement pour que le monde vive dans la paix et l’amour. Témoin de la foi apostolique, la paroisse vit dans la communion de l’Église « catholique » dans le temps – elle n’est qu’un maillon dans la chaîne des communautés depuis les Actes des Apôtres -, et dans l’espace, puisque par son évêque elle est unie à toutes les communautés répandues dans l’univers. Au-delà, elle est appelée non à se replier frileusement sur elle-même, sur ses richesses culturelles, sa langue, parfois incomprise, mais à célébrer pour le monde, pour qu’il retrouve cette fameuse gratuité de la fête, être une oasis de joie unie au désert aride où l’homme ne cesse d’avoir soif de consolation et de beauté, et où, rendu à sa plénitude d’humanité en Dieu, il peut « vivre au désert sans rien devant soi, que le soleil qui flamboie ».

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 3-5]

Prier les Ecritures dans la tradition liturgique orthodoxe
[p. 6-30]
Elisabeth Theokritoff

L’homme en quête de liberté intérieure dans Le Pavillon des cancéreux de Soljénitsine
[p. 31-42]
Père Michel Evdokimov

La mission commune des chrétiens dans la ville aujourd’hui
[p. 43-58]
Olivier Clément

Célébrer pour le monde dans la paroisse en frères réconciliés
[p. 59-82]

Bibliographie
[p. 83-95]