N° 214 – 2e trim. 2006
Liminaire
Comme il apparaîtra à la lecture des différents articles qui suivent, ce volume de Contacts pourrait s’intituler « solitude et communion ».
Dans une étude aux prolongements très actuels, Jean Chryssavgis étudie les modalités spirituelles du silence chez deux saints ascètes palestiniens, Barsanuphe et Jean de Gaza (vie siècle). Il analyse avec finesse l’équilibre poursuivi par ces géants de l’Esprit entre « solitude, silence et sérénité » et montre que la solitude, qui introduit au travail de transformation intérieure, était et demeure une véritable exigence pour tous ceux qui désirent devenir présents aux autres et à eux-mêmes. Ce n’est qu’en creusant en soi-même que l’on parvient à puiser la véritable charité. « Nous sommes unis à chacun plus par nos faiblesses et nos défaillances que par nos forces et nos réussites. » Seule cette conscience de nos limites et de nos fautes nous dotera d’une qualité de vigilance, qui mettra la véritable humilité chrétienne à l’ouvrage, la rendra capable de se charger des poids les uns des autres (cf. Gal 6,2), et en fera un germe fécond de communion.
Le Sinaï a toujours constitué un trait d’union entre la Palestine et l’Egypte, deux grands terreaux du monachisme. Il existe une évidente continuité entre les Pères de Gaza du vie siècle et le saint higoumène du Sinaï, contemporain de Mahomet, que la Tradition ecclésiale appelle Jean Climaque (vie– viie siècle), auteur de l’Échelle (en grec Klimax) du Paradis, ce texte fondamental qui a inspiré la vie monastique d’Orient et d’Occident. C’est aux formes diverses du monachisme sinaïtique à l’époque de saint Jean Climaque que Bernard Flusin a consacré une étude remarquablement informée. Il nous rend accessibles de précieux éléments historiques, souligne que les moines du Sinaï ne sont pas de simples anachorètes mais les gardiens des lieux saints que sont la Sainte Cime et le Buisson ardent. On apprend qu’une immense colonie d’ermitages monastiques avait essaimé autour du monastère Sainte-Catherine avant même la construction de celui-ci sur ordre de Justinien, et que les moines avaient pour tâche d’accueillir et nourrir les nombreux pèlerins de passage.
Le thème de la solitude intérieure, pleinement assumée par les Pères du désert, se trouve remarquablement approfondi et actualisé dans l’essai intitulé « Solitude et communion », rédigé par un grand moine roumain, le P. Benoît Ghius. La solitude n’est-elle pas précisément la condition la mieux partagée par les habitants des mégapoles de notre société pourtant obnubilée par la communication en tous genres ? Or, loin d’être une malédiction, si elle se trouve consentie librement et reçue comme un don d’En-haut, cette solitude peut, malgré son aridité, devenir véritable entrée dans l’éternité, ouverture sur l’Autre et vers l’autre dans la lumière de l’amour trinitaire. Le programme de toute vie chrétienne se trouve ici tracé : apprendre à être présents dans ce monde par notre action, sans appartenir à ce monde. Comme le note Anne Palanciuc, l’expérience de la solitude dont le père Ghius nous fait part dans ces pages est celle de sa propre vie, une solitude tressée de souvenirs et de silences, dans un abandon de soi.
Une étude de Paul Ladouceur intitulée « Christianisme et réincarnation », aborde ensuite une croyance, issue des religions orientales (mais bien attestée dans le monde grec antique) qui trouve un regain notable chez nos contemporains, celle en la réincarnation. Une manière facile pour certains de contourner la souffrance de la solitude et la crainte de l’échec d’une vie : tout serait censé s’arranger puisque chaque âme a toujours d’autres vies à sa disposition pour se parfaire. En réalité, comme le montre Paul Ladouceur, toute conciliation de cette croyance avec la foi chrétienne s’avère impossible. La liberté et le caractère inaliénable de la condition personnelle de l’homme découlent de la révélation chrétienne puisque l’homme est créé à l’image de Dieu.
Nous publions enfin de nouveau l’article fort intéressant d’Olga Pichon « De Prague à Paris, itinéraire d’une orthodoxie en exil (1922-1926) », à la suite du problème technique qui, dans un numéro précédent, avait empêché la parution des notes.
Contacts
Sommaire
Liminaire
[p. 169-170]
Solitude, silence et sérénité. Les variations subtiles de l’âme
[p. 171-189]
Jean Chryssavgis
Le monachisme du Sinaï à l’époque de Jean Climaque
[p. 190-217]
Bernard Flusin
Solitude et communion : Essai sur une vie spirituelle citadine
[p. 218-237]
Benoît Ghius
Christianisme et réincarnation
[p. 238-256]
Paul Ladouceur
De Prague à Paris, itinéraire d’une orthodoxie en exil (1922-1926)
[p. 257-267]
Olga Pichon-Bobrinskoy
Bibliographie
[p. 268-277]
• Espace infini de liberté. Le Saint-Esprit et Marie Théotokos – Olivier Clément
• La Face de Beauté – A.-N. Fuchs-Lequeux
• La Force de la prière – Textes assemblés par l’ACAT
• Een open venster op de Orthodox Kerk – Ignace Peckstadt
• Vous tous qui avez soif – Entretiens spirituels – Alexandre Schmemann