Contacts, n° 223

N° 223 – 3e trim. 2008

Liminaire

Ce volume de Contacts s’ouvre par une réflexion courageuse et lucide de Pantélis Kalaïtizidis sur le sens de la réforme dans l’Église. Chez les orthodoxes, le mot réforme est presque tabou. Il évoque la Réforme du XVIe siècle et ses divisions aventureuses, ou les réformes hasardeuses dans l’Église romaine après Vatican Il. L’orthodoxie se définit comme fidélité à la Tradition apostolique et patristique mais, par crainte des aventures, cette fidélité aboutit souvent à une répétition crispée, à une restauration « à l’identique » des formes de la vie ecclésiale. Le danger n’est pas loin d’une approche fondamentaliste de la tradition, qui fait du vieux avec du vieux. Il y a heureusement des exceptions, tout à l’honneur de l’orthodoxie, et des espoirs. Des théologiens ou des artistes tracent de nouvelles voies, parce qu’ils font confiance à l’Esprit Saint. L’exemple vient de loin: en leur temps Origène, Grégoire de Nysse, Denys, Maxime, Jean Damascène, Grégoire Palamas, Théophane le Grec, André Roublev et tant d’autres ouvrirent les chemins de la créativité. S’autorisant de leur exemple, P. Kalaïtizidis dresse un diagnostic, pose des questions pertinentes (que d’aucuns jugeront impertinentes !) et propose des pistes de réflexion et de réforme. Des pistes… et non pas la voie bétonnée d’une nouvelle scolastique. Des pistes qui réservent des surprises et d’exaltantes découvertes.

À commencer par le constat historique que l’orthodoxie implique un mouvement constant de réforme, de conversion. Autour du noyau dur, indestructible de la pensée dogmatique, selon les moments de l’histoire et les cultures où elle proclame l’Évangile, l’Église invente du neuf, emprunte de nouveaux chemins linguistiques et intellectuels, par fidélité à sa mission et à ce qui la fait vivre. Pas de conversion sans réforme, pas de fidélité sans nouveauté. La réforme appartient à l’être même de l’Église. Sous la motion de l’Esprit, auquel elle se soumet, l’Église fait mémoire du futur du Royaume plus que du passé, car « la Tradition vient du futur.

C’est fort naturellement à la créativité théologique que la suite de ce volume est consacrée. Chaque année, l’ISEO (Institut supérieur d’études œcuméniques) organise un Colloque des Facultés, unissant les forces des trois Facultés de théologie associées à la gestion de cet Institut parisien : Institut catholique de Paris, Institut protestant de théologie, Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge. À l’occasion du quarantième anniversaire de l’ISEO (fondé en 1967 dans les suites immédiates et selon l’esprit du Concile Vatican Il), le Colloque qui s’est tenu en janvier 2008 avait l’ambition de vérifier – et confirmer, si besoin en était – le fait que le dialogue œcuménique et le travail théologique sont mutuellement impliqués, non seulement de façon accidentelle mais dans leur essence même. D’où l’ambiguïté du titre : « Engagement théologique et recherche œcuménique », mêlant volontairement les traits supposés propres au mouvement œcuménique (un engagement !) et à la théologie universitaire (une recherche !). À travers la richesse des communications et des échanges ayant mobilisé près de trois cents personnes durant deux jours et demi, la rédaction de Contacts a retenu six communications qu’elle se réjouit de pouvoir livrer à la réflexion d’un large public.

Dans un premier temps le métropolite Jean de Pergame (Zizioulas) et le père Milan Zust, du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, abordent, sous l’angle théorique, la question des rapports entre engagement œcuménique et théologie. L’un et l’autre, sous des formes différentes, soulignent l’interaction nécessaire des deux démarches, pourvu que l’ecclésiologie soit placée au centre des débats, non pas comme une discipline particulière mais comme le lieu propre d’appréhension des données essentielles au mystère chrétien selon le principe de la hiérarchie des vérités. Dès lors, il convient de tout mettre en œuvre afin de replacer au centre du dialogue œcuménique la notion théologique de communion, comme une réalité vécue dans la confiance et soutenue par une authentique démarche de conversion, dans la tradition de l’œcuménisme spirituel, récemment rappelée par le cardinal Kasper.

Dans un deuxième temps, deux théologiens chevronnés, le père Bernard Sesboué (Facultés jésuites du Centre Sèvres) et le pasteur Henri Blocher (Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine) entreprennent de relire à grands traits leur propre itinéraire théologique d’enseignants et chercheurs, lis s’efforcent ainsi d’évaluer, d’une part l’impact du mouvement œcuménique sur leur propre pensée, d’autre part l’appel ressenti, au travers même des dossiers théologiques abordés, à s’engager personnellement et de façon parfois inattendue sur des chemins de dialogue renouvelé. Dans ces deux récits, à la fois biographiques et critiques, le lecteur sera frappé de la place considérable accordée aux relations entre personnes de confessions différentes, qu’elles soient vécues sous le mode privé ou médiatisées par des institutions vouées au dialogue œcuménique. Une telle histoire semble trop riche pour s’arrêter en chemin : il reste encore beaucoup à faire ; en la matière, la conviction des personnes est déterminante, à commencer par celle des théologiens.

Enfin, dans un troisième temps, le pasteur Louis Schweitzer et le père Yves-Marie Blanchard, ancien et actuel directeurs de l’ISEO, précisent la situation propre à cet Institut parisien, unique en son genre du fait de sa gestion tri-confessionnelle. C’est l’occasion pour eux d’affirmer de fortes convictions, nourries par l’expérience, tout en précisant quelques traits propres à la situation actuelle, tout particulièrement la conscience croissante du fait que la théologie œcuménique peut et doit occuper une place centrale – et quasiment transversale – dans le champ des différentes disciplines théologiques. Ainsi pourra-t-elle apporter sa contribution au grand chantier de l’Unité des chrétiens.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 209-211]

L’Église orthodoxe face au défi du renouveau et de la réforme
[p. 212-255]
Pantélis Kalaïtizidis

Actes du colloque de l’institut supérieur d’études œcuméniques (ISEO)

Quelques réflexions sur la relation entre l’engagement œcuménique et la recherche théologique
[p. 259-272]
Métropolite Jean (Zizioulas) de Pergame

Le dialogue théologique et les conditions nécessaires à la communion dans la recherche œcuménique
[p. 273-289]
Milan Zust, s.j.

Enseignement théologique, recherche œcuménique et déplacements personnels
[p. 290-300]
Bernard Sesboué, s.j.

Un évangélique dans quelques dialogues œcuméniques
[p. 301-314]
Henri Blocher

Œcuménisme, évolutions et perspectives
[p. 315-320]
Louis Schweitzer

La théologie œcuménique comme discipline universitaire : regards et perspectives
[p. 321-326]
Yves-Marie Blanchard

Bibliographie
[p. 327-339]