Contacts, n° 224

N° 224 – 4e trim. 2008

Liminaire

Avec joie nous présentons ce volume thématique consacré à mère Marie (Skobtsov), canonisée sous le nom de sainte Marie de Paris en 2004. L’acte de canonisation porte également les noms de son fils Youri, du père Dimitri Klépinine, aumônier du foyer où la moniale hébergeait des exilés russes et des juifs, ainsi que d’un ami, Élie Fondaminski. Nous devons recevoir dans la louange la signification prophétique de cette canonisation de saints orthodoxes sur cette terre de France, vieille terre de chrétienté. Toute approche de la sainteté est source d’un réveil de l’esprit et ouverture à une nouvelle profondeur de la vie.

Dans « Quelques énigmes de la biographie de sainte Marie de Paris », Paul Ladouceur, en remarquable biographe, qualifie mère Marie d’un « des grands témoins orthodoxes du XXe siècle ». Bien des ombres subsistent encore sur le destin de cette Russe remarquable, passionnée de la vie, qui traversa les grandes tempêtes du XXe siècle, Révolution, guerre, exil, et pour finir, camp nazi à la suite d’une dénonciation.
Douée de multiples talents – poète, essayiste, théologienne, artiste – elle continuera à les faire fructifier même après sa prise de voile en 1932. En cette moniale l’élan contemplatif ne cesse de nourrir, d’aimanter une existence ouverte à tous les reflets de la vie dans le monde. L’A. passe minutieusement en revue les diverses esquisses biographiques consacrées à sa mémoire en français et en anglais. Une vraie biographie reste encore à faire. Quelles que soient les conditions dans lesquelles fut mis un terme à la vie de cette moniale, elle reçut la couronne des martyrs, elle qui avait été destinée à prêcher l’amour « dans le désert des cœurs humains ».

Viennent ensuite trois textes autobiographiques traduits pour la première fois en français par Françoise Lhoest, où mère Marie décrit avec charme et vivacité trois étapes du développement de sa personnalité à partir de sa prime jeunesse jusqu’à l’âge adulte, en parallèle avec la sourde et menaçante progression du climat pré-révolutionnaire en Russie. Dans « Mon ami d’enfance «, elle campe avec une étonnante vérité Pobiedonostsev, le redoutable et ultra-réactionnaire procurateur du Saint-Synode de l’Église russe, où il représentait le pouvoir politique impérial. Ce récit, animé, abonde en détails sur la vie à Saint Pétersbourg. Mère Marie y donne un étonnant portrait d’elle-même. Elle sera déchirée entre son amitié pour ce vieillard qui lui parle avec bonté comme à une adulte, et ses aspirations au changement.
Il lui faudra le quitter plus tard, pour défendre la vérité. Symbole tragique de l’incompréhension entre les tenants conservateurs de la monarchie et les forces souterraines en marche dans la société.
La mort de son père provoque un choc chez la jeune fille, qui se pose d’une manière typiquement russe la question ultime: « Dieu existe-t-il ? Dieu admet-il la mort ? ». Elle va sur ses seize ans et, deuxième choc, elle se lie d’amitié en 1921 avec Alexandre Blok (Rencontres avec Alexandre Blok).
Poète symboliste très doué, il est notamment l’auteur de « Les Douze » où un Christ démythologisé, la tête couronnée de fleurs, marche à la tête de douze révolutionnaires. En ce « siècle d’argent », par opposition au « siècle d’or » de l’époque précédente où l’on vit éclore le génie artistique du peuple russe, une vie trépidante se déroule dans les cafés et les salons de la capitale. Mère Marie décrit avec une note d’humour ces artistes, autour de Volochine, qui, bercés d’illusions, croyaient pouvoir changer la Russie par la force de l’art. La société était au bord de l’abîme et bientôt, l’ignorant encore, elle allait basculer. Tout le monde était pour la révolution, mais personne n’allait mourir pour elle: ces mots dépeignent une effarante inconscience devant l’histoire en marche. Entre le grand poète Blok et la jeune fille un peu timide, s’échange un amour platonique, beau et douloureux.
De la poétesse Akhmatova, Blok lui dit qu’elle « écrit des vers comme si elle était devant un homme, alors qu’il faut écrire comme si on était devant Dieu ». Sans doute Marie a-t-elle bien reçu cette leçon.
Dans « Ma mairie d’Anapa », mère Marie est mariée. Dans cette ville balnéaire du sud, la révolution avance à pas feutrés, l’éveil de la population au sens politique confine parfois au bourrage de crâne, les partis antagonistes, bourgeois prêts à tout lâcher, ou bolchéviques aux aguets au coin du bois, s’épient mutuellement. La future sainte est la première femme à occuper des fonctions électives à la tête d’une municipalité en Russie. Elle sut tenir tête à des marins goguenards qui croyaient jouer au plus fin en la traitant de « nana ». « Je ne suis pas une nana, je suis le maire de cette ville », dit-elle en leur clouant le bec. Dans le déchaînement des esprits où l’on pouvait impunément piller et tuer, elle sut défendre avec courage et de tout son pouvoir la légalité.

Ce volume s’achève par une seconde étude de Paul Ladouceur, « Inventaire des sources en vue d’une biographie complète de sainte Marie de Paris », qui offre un travail fouillé, abondamment fourni en bibliographie, prouvant le degré de notoriété de mère Marie en Europe et en Amérique.

Les matériaux sont clairement répartis entre « Un aperçu des œuvres littéraires », les « Écrits autobiographiques et semi-autobiographiques », les « Souvenirs et témoignages » à partir de la proche famille de la prime jeunesse, jusqu’aux survivantes de Ravensbrück. Dans un poème cité par l’éditeur, elle fait montre d’un étonnant sens prophétique : Je le sais, le bûcher s’allumera […] le feu apparaît à mes pieds…

Puisse ce solide dossier composé en l’honneur de sainte Marie de Paris étancher la curiosité de ceux qui désirent approfondir leur connaissance de cette sainte, et fournir à d’éventuels chercheurs d’indispensables matériaux pour orienter leurs recherches. Toute la rédaction de Contacts souhaite à ses fidèles abonnés de saintes fêtes de Noël et de la Théophanie.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 341-343]

Inventaire des sources en vue d’une biographie complète de sainte Marie de Paris
[p. 344-367]
Paul Ladouceur

Rencontres avec Alexandre Blok (Pour le quinzième anniversaire de sa mort)
[p. 368-391]
Mère Marie Skobtsov

Mon ami d’enfance
[p. 392-404]
Mère Marie Skobtsov

Ma mairie d’Anapa
[p. 405-444]
Mère Marie Skobtsov

Quelques énigmes de la biographie de sainte Marie de Paris
[p. 445-493]
Paul Ladouceur

Bibliographie
[p. 494-504]

Table annuelle
[p.505-507]