Contacts, n° 46

N° 46 – 2e trim. 1964

Liminaire

Les deux principales études qui composent ce numéro — celle de Léonide Ouspensky sur l’iconostase, et celle du P. Syméon (de la communauté de Tolleshunt Knights) sur l’intercommunion — ne concluent pas, mais jalonnent deux redoutables débats.

Le problème de l’iconostase récapitule significativement les rapports difficiles qui se nouent dans l’Eglise entre la Tradition et les traditions. Faut-il subir passivement l’iconostase ? Ou la refuser totalement ? Ne faudrait-il pas ‘d’abord la comprendre, afin d’assumer d’une manière créatrice son sens profond ?
Le grand mérite de L. Ouspensky est justement de dégager ce qu’il peut y avoir d’essentiel dans la distinction entre le chœur et la nef (« distinction-identité » précisons-le, comme le notait Vladimir Lossky à propos des antinomies théologiques) ; c’est en même temps d’analyser avec beaucoup de pénétration spirituelle le contenu théologique de l’iconostase pleinement développée, la grande iconostase russe des 15e et 16e siècles. Pour autant le problème est loin d’être clos. Il faudrait, entre autres, — examiner la relation historique qu’il est difficile de ne pas établir entre l’iconostase et la période constantinienne (durant laquelle la tension entre l’Eglise et le monde s’est transposée à l’intérieur de l’Eglise, transformant en séparation la distinction traditionnelle du chœur et de la nef) ; — approfondir aussi le symbolisme de l’espace intérieur d’une église, et comment son organisation horizontale (qui s’exprime surtout dans l’iconostase) s’harmonise, ou ne s’harmonise pas, avec son organisation verticale (qui s’exprime surtout dans l’agencement avec les murs des volumes sphériques de la coupole et de l’abside dont l’iconographie ne se tient pas devant les fidèles mais, en quelque sorte, les contient) ; et aussi le symbolisme du célébrant lui-même (qu’on pense à l’importance quasi-sacramentelle de l’évêque et de son trône dans l’église ancienne), réalité « typique » largement effacée par la réalité « iconographique » de l’iconostase (sans doute parce qu’elle impliquait l’union visible, compromise par la période constantinienne, du liturge et du peuple, co-liturge dans l’ordre de l’invocation).

Quant à la méditation du P. Syméon, elle ébauche avec modestie un dépassement entre la position traditionnelle — qui rejette les autres chrétiens dans un néant, ou du moins une pénombre ecclésiale — et les tendances favorables à une intercommunion avec l’Eglise romaine, qui se font jour dans certains milieux orthodoxes : assez imprudemment semble-t-il, pour des raisons simultanément théologiques (car enfin, c’est dans l’unité de foi que les églises locales, au sens « eucharistique », se reconnaissent mutuellement), pastorales (à cause du scandale inévitable de la grande majorité du peuple orthodoxe) et œcuméniques (à cause de notre dialogue avec les protestants). Les propositions réalistes et ouvertes du P. Syméon pour rendre plus facile l’accès de la communion, dans nos églises, à des baptisés n’appartenant pas à l’Orthodoxie mais partageant profondément sa foi (qu’ils soient protestants ou catholiques) nous semblent autrement constructives. Leur réalisation, conjuguée avec une expansion de la « prière de Jésus » parmi les chrétiens d’Occident, pourraient avoir des résultats providentiels.

Qu’il s’agisse d’iconostase ou d’intercommunion, la réflexion commune est indispensable et nous y appelons nos lecteurs. Même si les circonstances historiques ne permettent pas à l’Orthodoxie de réunir dans l’immédiat le concile qu’elle projette, la conciliarité de notre Eglise doit se manifester dans une libre réflexion, dans la spontanéité créatrice du peuple chrétien. Le concile, après tout, n’est que la manifestation temporaire du grand concile ecclésial que le Seigneur convoque en permanence à l’image de la Trinité.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 81-82]

La question de l’iconostase
[p. 83-125]
Léonide Ouspensky

De l’eucharistie comme sacrement de l’unité
[p. 126-146]
Hiéromoine Syméon

Chronique
• Le Père Michel Belsky
[p. 147-149]
Vl. Lossky

Bibliographie
• Le Dictionnaire théologique – P. Louis Bouyer
[p. 150-155]
• La liturgie – C.P.L.
[p. 155]
• L’universalisme de la foi chrétienne – Leslie Newbigin
[p. 156-158]
• Qué es la ortodoxia – Union de la juventud ortodoxa
[p. 158]
• La piété russe – Nicolas Arseniew
[p. 159]
• Saint-Serge – Jean Cellerier
[p. 159]
• Les Hébreux – Gérard Nahon
[p. 159-160]
• Vatican II : Première Session – Antoine Wenger
[p. 160]
• El binomio :Primado-Episcopado – Teodoro Ign. J. Urresti
[p. 160]