Contacts, n° 115

N° 115 – 3e trim. 1981

Liminaire

Deux des articles publiés dans ce numéro concernent la destinée spirituelle de la Russie, deux autres les relations entre orthodoxie et catholicisme.

Dans une brève et dense évocation, Jean Besse montre com­ment le témoignage prophétique d’un Jean de Cronstadt, au début de notre siècle, a posé les deux thèmes que l’on voit ressurgir avec force aujourd’hui dans les pays de l’Est, celui de la vérité et celui de la justice (Saint Jean de Cronstadt, consola­teur de la Russie). Michel Niqueux, de l’Université de Caen, dans La mémoire de la terre et du ciel…, étudie en perspective chrétienne l’œuvre de Valentin Raspoutine et, plus générale­ment, la « littérature paysanne » soviétique. Ces écrivains, qui ne sont pas seulement des nostalgiques, mais des hommes de profonde et grave mémoire, posent ouvertement le problème du sens de la vie, retrouvent à la fois la dimension spirituelle et la dimension tellurique de l’existence, l’homme comme «micro­cosme et microthéos», pour reprendre une expression de Gré­goire de Nysse. Des mots oubliés leur reviennent : l’âme, la terre, la mère, la mort, le mystère, la charité, la résurrection. Pour eux, « la solution des problèmes économiques et sociaux réside avant tout dans le recouvrement, par l’homme, de son âme ».

Le Père Jean Meyendorff, avec Régionalisme dans l’Eglise : structure de communion ou prétexte au séparatisme, souligne courageusement que les théologiens orthodoxes, dans leur réflexion ecclésiologique, et notamment pour le dialogue avec Rome, devront se montrer capables à la fois de sens historique et d’autocritique. Le « régionalisme oriental », lorsqu’il aboutit à l’autocéphalisme absolu et au phylétisme, ne peut davan­tage se justifier que l’« universalisme occidental » lorsqu’il aboutit au dogme de Vatican I. L’ecclésiologie catholique est aujourd’hui un immense chantier où les notions de « commu­nauté eucharistique », d’« Eglises-sœurs », de la primauté comme service de la communion des Eglises-sœurs s’impo­sent peu à peu. Qu’en est-il de l’ecclésiologie orthodoxe ? Peut-elle se contenter de célébrer orgueilleusement une « ecclésiologie eucharistique » qui n’existe guère dans les faits en igno­rant les dures réalités de l’histoire ? Le Père Jean Meyendorff appelle catholiques et orthodoxes à retrouver une juste articu­lation entre la communauté locale, la mission régionale de l’Eglise et la nécessaire expression de son universalité.

Alexis van Bunnen poursuit son étude sur le concile trop méconnu de 879-880. Il traite aujourd’hui de la question du Filioque, telle qu’elle fut abordée par ce concile. La solution alors élaborée, le retour au texte originel du Credo de Nicée-Constantinople, pourquoi ne pas la reprendre aujourd’hui ? La célébration du 2è Concile Œcuménique, où fut précisé l’article concernant le Saint-Esprit, ne serait-elle pas, de ce point de vue, une occasion providentielle ?

J’aimerais, en marge de cette étude sereine et documentée, inscrire deux notes marginales :

1) Les orthodoxes, comme le rappelle Alexis van Bunnen, aiment dire avec Khomiakov que l’introduction unilatérale du Filioque dans le Credo par les Latins sans l’accord des Orien­taux a constitué une sorte de « fratricide moral ». Cette réflexion serait assez juste, me semble-t-il, pour le bas moyen-âge et les premiers siècles de l’époque moderne (ou peut-être vaudrait-il mieux dire que le critère de la vérité a momentanément cessé d’être le même en Occident et en Orient). Par contre, on ne peut rien dire de tel pour l’époque patristique. Les élaborations de la triadologie se faisaient alors de toutes parts dans le monde chrétien, sans la moindre intention d’agressivité ou de domina­tion des uns par rapport aux autres. Les approches étaient diverses, ainsi que les systèmes de conceptualité, voire d’expérience spirituelle, qui les sous-tendaient. Reste à savoir si l’Eglise orthodoxe, aujourd’hui, entend assumer, compren­dre, tout l’héritage patristique, tout l’héritage de la chrétienté Indivise, ou seulement celui du bassin oriental de la Méditerra­née, en projetant sur ce monde riche et complexe, les notions pauvrement substantialisées d’Orient et d’Occident, au reste empruntées à la modernité ?

2) Dans une perspective assez proche — celle d’un «Occi­dent» substantialisé dans son éternelle hérésie —, il est de bon ton, dans certains milieux orthodoxes, de dire du mal de saint Augustin. Saint Photius, dans des limites culturelles assez étroites, témoignait d’un meilleur sens historique, comme le note Alexis van Bunnen. Il soulignait que la plupart des Pères de l’Eglise ont sur tel ou tel point des positions uni­latérales et que, ce qui compte, c’est leur consensus. Les Pères ne sont pas des commentateurs marchant à reculons vers l’avenir, mais des hommes de génie, et le génie déséquili­bre. C’est la Tradition qui équilibre. Il importe donc de mettre Augustin « en dialogue » avec la grande patristique grecque pour assumer ses intuitions géniales parfois compromises par dos systématisations contestables. L’Eglise a su assumer Origène et Evagre, dont certaines conceptions doctrinales sont tout à fait indéfendables, ce qui n’est pas le cas pour le « bien­heureux » Augustin…

En ce qui concerne la procession du Saint-Esprit, saint Augustin, tout en développant la doctrine du Filioque, a toujours affirmé que l’Esprit procède principaliter du Père. Ce qui situe le Filioque de la patristique latine dans une perspective qui ne met pas en cause la « monarchie » du Père. Je me souviens que Vladimir Lossky, dans ses cours, aimait insister sur ce point.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 169-170]
Olivier Clément

S. Jean de Cronstadt, consolateur de la Russie
[p. 171-173]
Jean Besse

La Mémoire de la terre et du ciel : Valentin Raspoutine et
la « littérature paysanne » soviétique

[p. 174-192]
Michel Niqueux

Le régionalisme dans l’Eglise : structure de communion ou prétexte au séparatisme. Thèmes de discussion avec le catholicisme romain
[p. 193-210]
Jean Meyendorff

Le Concile de Constantinople de 879-880 – III. La question du « filioque »
[p. 211-234]
Alexis van Bunnen

Chronique
• Rencontre œcuménique de Chantilly des 6-8 juin 1981
[p. 235-236]
Elisabeth Behr-Sigel
• Vers une « communauté nouvelle ». Colloque du Conseil Œcuménique des Eglises (Sheffield, 10-19 juillet 1981)
[p. 236-240]

Bibliographie
• Le Buisson Ardent – Paul Evdokimov
[p. 241-242]
• Sa Vie est la mienne – Archimandrite Sophrony
[p. 242-243]
• La Résurrection et l’homme d’aujourd’hui – Patriarche Ignace Hazim
[p. 244-247]
• Liturgie de Source – Jean Corbon
[p. 247-249]
• L’amour qui change le monde : théologie de la charité – René Coste
[p. 249-252]
• Célébrer Dieu – ACECEF
[p. 252-254]
• Le Corps de Dieu où flambe l’Esprit – Daniel-Ange
[p. 254-255]
• Louanges Mariales
[p. 255-256]