Contacts, n° 131

N° 131 – 3e trim. 1985

Liminaire

Le texte de Costi Bendaly constitue une remarquable tentative pour élucider l’ascèse orthodoxe en utilisant d’une manière critique l’apport des sciences humaines, cette exploration des confins de la psyché par la modernité occidentale. Le langage psychanalytique ici utilisé, bien qu’il soit largement connu des milieux intellectuels, peut cependant surprendre certains de nos lecteurs, habitués à une approche du jeûne qui se voudrait purement spirituelle. Une lecture plus attentive leur permettra d’approfondir, à même leur « chair », cette approche traditionnelle qui sous-tend toute la pensée de l’auteur. Le thème de l’oralité devient chez lui une symbolique du « péché originel » et de la condition déchue de tout être humain, il nous permet de mieux comprendre, de mieux sentir l’ascèse monastique qui décèle dans l’avidité et dans l’orgueil les deux « passions-mères » où s’enracine l’état de séparation de l’homme, toutes deux constituant comme les pôles d’une captativité, d’un narcissisme ontologiques qui font l’homme « idolâtre de lui-même », pour citer saint André de Crète.

Le jeûne, comme le souligne Costi Bendaly, est une ascèse personnelle et ecclésiale que tous les fidèles et chacun à sa mesure sont appelés à vivre dans l’Esprit Saint en même temps que le « jeûne des passions », et aussi des bruits, des images (les uns et les autres multipliés aujourd’hui par les machines) et du langage, souvent si peu fraternel dans nos milieux, en même temps que la prière, la lecture de la Parole de Dieu, — car l’homme, dit Jésus que cite Costi Bendaly, « ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » —, et surtout peut-être le partage. Ainsi nous nous acheminons humblement vers la filiation divine dans l’expérience de notre fraternité en Christ. Le jeûne est une libre obéissance à l’Église qui propose le plus non pour nous écraser mais pour nous éclairer et nous rappelle l’exemple du Christ ainsi préparé à triompher des tentations majeures, celles de l’avoir, du pouvoir, de toute démarche — fût-elle apparemment miraculeuse — de possession.

Tous ces points sont étudiés, au tréfonds de notre psyché, par Costi Bendaly. Il suggère ainsi que les « sciences de l’homme », surtout dans le domaine psychologique, peuvent jouer un rôle important dans l’aspect le plus décapant de l’ascèse et contribuer à nous ouvrir à cette force, cette lumière, cette joie venues d’ailleurs qu’il nous faut bien nommer la grâce. Fondamentalement, Costi Bendaly montre que le jeûne a pour but de dégager le « désir » des « besoins » (où la civilisation si bien nommée « de consommation » voudrait l’enfermer) pour qu’il soit, comme le disait saint Grégoire Palamas, « rendu à son origine » : désir de Dieu et donc ouvert à l’agapé, devenant grâce à elle approche respectueuse et aimante des êtres et des choses.

Ainsi se dessine, en conclusion, l’espoir d’une civilisation renouvelée par le rayonnement de l’Église, une civilisation où le jeûne prendrait toute sa portée de sympathie avec la création et de justice à l’échelle de la planète.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 161]

In memoriam : Archevêque Basile Krivochéine (1900-1985)
[p. 162]
Germaine Revault d’Allonnes

Jeûne et oralité : aspects psychologiques du jeûne orthodoxe et suggestions pour une éventuelle réforme
[p. 163]
Costa Bendaly
– Avant-propos
[p. 165-166]
– Introduction
[p. 167]
– Section I : Nourriture et désir : le registre de l’oralité et sa place
dans l’histoire du désir
[p. 168-177]
– Section II : Le jeûne, comme voie d’ascèse et de transvaluation de l’oralité
[p. 178-194]
– Section III : Suggestions pour une éventuelle réforme du jeûne
[p. 195-208]
– Conclusion
[p. 209]
– Notes avec références bibliographiques
[p. 210-229]

Bibliographie
• Le Génie de l’Orthodoxie. Introduction – Dumitru Staniloaë
[p. 230-232]
• Philocalie des pères neptiques. Fasc. V – (Jacques Touraille, trad.)
[p. 232-235]
• Le cycle pascal – Constantin Andronikof
[p. 235-238]