Contacts, n° 266

N° 266 – 2e trim. 2019

Liminaire

À l’heure où – face au déferlement des scandales qui défraient l’actualité – nos frères catholiques s’interrogent avec honnêteté et douleur à la façon de ravauder le tissu ecclésial sensiblement déchiré, les orthodoxes peuvent y voir indirectement l’appel à un travail d’introspection et une invitation à réfléchir, eux aussi, sur les nécessaires évolutions qu’appelle l’état actuel du corps ecclésial. L’Église orthodoxe montre en de nombreux aspects – notamment en ecclésiologie – un décalage béant entre sa théologie et sa praxis, son incarnation concrète dans notre temps. Rénover la vie ecclésiale ne signifie pas, en l’occurrence, faire table rase du passé pour y introduire des nouveautés marquées par le monde présent : cela implique au contraire d’actualiser plus pleinement la Tradition qui nous est transmise, afin que nos contemporains y découvrent un lieu de vie et de salut.

Dans le premier article de ce volume, intitulé « Eucharistie et libération », le métropolite libanais Georges Khodr déploie dans cette perspective les implications d’une Eucharistie pleinement vécue, qui, comme l’a bien expliqué saint Jean Chrysostome, conduit au service des pauvres et se met à rayonner dans la culture de son temps. Mgr Georges parle de « libérer » l’Église « fossilisée » en la « déliant de toute servitude nationaliste, culturelle, temporelle ».

Le théologien libanais Assaad Elias Kattan donne, dans l’étude qui suit des pistes susceptibles d’opérer un tel mouvement : partant de plusieurs Pères, il interroge la notion d’incarnation du Logos dans notre réalité, à la fois dans la personne du Christ, dans l’Ecriture sainte et dans l’Histoire. Il démontre que cette incarnation tripartite que défend son contemporain le métropolite Georges Khodr est profondément patristique et permet d’une part un dialogue fécond avec l’Islam pour lequel le Coran est présence de la parole divine, d’autre part invite chaque chrétien à devenir une incarnation vivante de la parole divine dans l’Histoire.

Un troisième théologien libanais, montrant la fécondité de cette école de pensée concernant la réflexion actuelle sur l’Église, Georges Nahas, invite de façon pressante à considérer le fossé qui se creuse entre la réalité historique passée à laquelle appartiennent aujourd’hui nombre d’aspects de notre Église et les nécessités contemporaines. « Le monde d’aujourd’hui n’a que faire de questions de primauté, d’autocéphalie, d’autonomie, de juridiction ou de calendrier, rappelle-t-il. En nous occupant de tels sujets, nous faisons justement preuve que nous sommes une Église du monde. » Georges Nahas appelle à renouveler en profondeur tant le discours théologique de l’Église que ses sujets de préoccupation.

Dans la même veine, Michel Stavrou met en lumière ce que signifie redécouvrir la nature eschatologique de l’Église : il s’agit, pour ses membres, partant toujours de l’Eucharistie, de vivre dès à présent la vie ressuscitée du Royaume, ce qui implique d’associer l’ensemble du cosmos au processus dynamique de déification. « À l’ère sécularisée de la post-modernité, l’Église se doit d’intégrer les attentes, même inconscientes, d’un monde soumis aux défis nouveaux : mondialisation, multiculturalisme, crise écologique, migrations économiques et climatiques. »

Petre Maican revient ensuite sur l’un des grands défis contemporains que l’Église ne peut ignorer : le mouvement œcuménique pour travailler au retour à l’unité des chrétiens. Il met en lumière, dans la pensée du grand théologien roumain Dumitru Stăniloae, une «interprétation positive de la diversité œcuménique » perçue comme l’un des aspects du processus dialogique de déification dans la mesure où elle répond au double critère d’« une connaissance de Dieu plus profonde et d’un plus grand désir d’entrer en communion avec les autres êtres humains », ceci dans le respect des différences théologiques.

Faisant retour aux fondamentaux de la Tradition, le liturgiste Élie Korotkoff propose une étude qui explique l’appellation de la Nativité du Christ comme « Pâque d’hiver », montrant à travers une analyse de l’hymnographie et de la structure des offices que la célébration de Noël a été profondément inspirée de celle de Pâques. Parmi les répercutions théologiques que cela entraîne, il invite à comprendre l’ensemble de l’œuvre du salut comme un seul et même mystère et montre comment la célébration liturgique nous permet d’entrer aujourd’hui dans ce mystère.

Puissent ces quelques articles, invitant à approfondir divers aspects de notre foi dans une démarche d’ouverture aux questionnements du monde contemporain, contribuer à la prise de conscience de la nécessité d’un renouveau ecclésial sous le souffle vivifiant de l’Esprit qui mène l’Église vers la vérité tout entière et fait « toutes choses nouvelles » (Ap 21,5).

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 129-132]

Eucharistie et libération
Mgr Georges Khodr
[p. 133-149]

L’incarnation du Logos dans le cosmos, l’Écriture et l’Histoire : Origène – Maxime le Confesseur – Georges Khodr
Assaad Elias Kattan
[p. 150-165]

L’Église à la croisée des chemins
Georges N. Nahas
[p. 166-177]

Redécouvrir une perspective eschatologique en théologie orthodoxe : quelles implications pour le rapport de l’Église au monde ?
Michel Stavrou
[p. 178-189]

Dumitru Stăniloae et l’interprétation des Pères de l’Église dans un contexte œcuménique
Petre Maican
[p. 190-214]

Nativité, la Pâque d’hiver
Élie Korotkoff
[p. 215-236]

Chronique
[p. 237-238]

Bibliographie
[p. 239]