Contacts, n° 267-268

N° 267-268 – 3e et 4e trim. 2019

Liminaire

Voilà dix ans cette année que le grand théologien orthodoxe français Olivier Clément a été rappelé à Dieu. Durant cette décennie, la postérité de sa pensée théologique a continué de s’affirmer. En témoignent en particulier les traductions de ses ouvrages qui ont contribué à le faire connaître de façon internationale. Au mois de mai 2019 s’est tenu à Paris un colloque organisé conjointement par l’Institut Saint-Serge, l’ACER-MJO et la revue Contacts sur le thème « L’œuvre théologique d’Olivier Clément (1921-2009), redécouvrir le sens de l’Église en dialogue avec le monde contemporain », dont nous publions ici les actes. Centré sur l’analyse d’une pensée créative, cet événement est bien le signe de sa fécondité théologique, à l’heure où la théologie orthodoxe est en quête d’un nouveau souffle pour parvenir à s’ouvrir de façon fructueuse aux interrogations du monde contemporain en puisant dans la richesse de sa Tradition.

Les origines occidentales, l’enracinement familial athée d’Olivier Clément le prédisposaient à être un artisan de choix dans le dialogue entre l’Église et le monde, à partir de sa rencontre avec le Christ et son ancrage dans la tradition chrétienne orientale. Dans l’article qui ouvre le présent volume, Cyrille Sollogoub, président de l’ACER-MJO, retrace la vie du théologien pour mettre en lumière les circonstances particulières de son engagement dans l’Église. Puis vient l’analyse des fondamentaux, à savoir le rapport d’O. Clément à la Bible et aux Pères. Le père Nicolas Cernokrak, doyen de l’Institut Saint-Serge, présente la méthode exégétique du théologien, qui s’appuie sur l’expérience de vie sous l’éclairage de l’Esprit Saint, tandis que le père Marc-Antoine Costa de Beauregard se penche sur l’introduction à la Philocalie rédigée par O. Clément, soulignant la dimension poétique du langage du théologien comme le plus approprié pour transmettre le mystère divin et le situant ainsi dans la lignée des Pères philocaliques.

L’ouverture d’O. Clément à la culture contemporaine se caractérise en particulier par le rapport privilégié qu’il entretient avec la littérature. Dans son exposé, Jean-Claude Polet montre comment O. Clément déjoue les principes traditionnels de l’herméneutique littéraire pour se situer au cœur existentiel du message. Dans la continuité, Olga Lossky-Laham propose une analyse de la langue du théologien pour mettre en lumière la façon dont elle exprime la troisième beauté, affleurement du Royaume, présente au sein de notre réalité. Un autre thème central de la réflexion du théologien est l’anthropologie, dont le philosophe Bertrand Vergely brosse le contexte philosophique pour dégager la vision d’espérance d’Olivier Clément concernant la personne appelée à la vraie liberté de la vie en Christ.

Cette vision d’espérance s’est exprimée au sein même des événements vécus par le théologien. Tout d’abord la crise de Mai 68, où O. Clément discerne une soif métaphysique, ainsi qu’Andrea Riccardi le souligne dans son exposé, mettant les revendications de la jeunesse en lien avec la rencontre marquante que fait le théologien du patriarche Athénagoras, figure paternelle d’une Tradition dynamique. Ensuite, la poussée du mouvement œcuménique travaille en profondeur O. Clément. Dans son témoignage, le frère Richard montre la grande proximité spirituelle qu’il avait avec la communauté œcuménique de Taizé. La théologienne catholique Barbara Hallensleben se penche quant à elle sur le livre d’O. Clément Rome autrement pour mettre en question la position du théologien sur la primauté romaine, suggérant que son analyse s’appuyait trop spécifiquement sur Vatican I et proposant également des perspectives pour penser la primauté dans la sphère orthodoxe.

Le rapport du théologien à l’Histoire en général s’exprime dans le premier ouvrage d’O. Clément, Transfigurer le temps, dont Jeremy Ingpen, son traducteur en anglais, présente les traits principaux en vue de mettre en lumière la méthode théologique de son auteur comme expérience de la réalité spirituelle. Cette connaissance s’exprime par excellence dans l’ouvrage central Sources, ainsi que le montre l’article que lui consacre Goran Sekulovski en soulignant la façon dont le théologien actualise de façon existentielle la pensée des Pères de l’Église.

Parmi les défis plus spécifiques de la « post-modernité », celui de la construction d’une Église locale fut au cœur de l’action d’Olivier Clément. Daniel Lossky montre l’implication du théologien dans la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale, dont il fut l’un des fondateurs, ainsi que ses propositions canoniques concernant l’avenir de l’orthodoxie en Europe occidentale. Pantélis Kalaïtzidis montre pour sa part comment O. Clément appelle à un dialogue fécond avec la modernité toute entière, dans laquelle il invite à discerner des germes d’Évangile. Un trait particulier de ce dialogue est le rapport à l’Islam. Le frère Emmanuel Pisani présente la problématique d’Un respect têtu, livre consacré au dialogue islamo-chrétien, co-écrit par le penseur musulman Mohamed Talibi et le théologien orthodoxe, ce dernier discernant dans le Coran une « nostalgie du Christ » tout en appelant les chrétiens à retrouver le sens de l’attente eschatologique.

Dans sa relecture de la Petite boussole spirituelle pour notre temps, dernier ouvrage publié du vivant du théologien, la pasteure Agnès von Kirchbach indique les grandes lignes d’une attitude de témoignage chrétien contemporain. Un témoignage qui ne peut s’ancrer que dans la réalité sacramentelle de l’Eucharistie, ainsi que le développe Michel Stavrou. Son analyse met en lumière la théologique eucharistique développée par O. Clément, comme cœur de la vie de l’Église et centre d’où rayonne l’annonce au monde contemporain de la résurrection du Christ.

Ce dense volume ouvre maintes pistes de réflexion au sein de la pensée d’Olivier Clément. Son ancrage dans une expérience spirituelle authentique, mis en avant par l’ensemble des présentes contributions, est la clé de sa richesse et appelle de nombreux approfondissements dans les années à venir, pour que la théologie remplisse pleinement sa mission de témoignage et de dialogue avec le monde.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 245-248]

Olivier Clément : une vie dans la lumière du Christ
Cyrille Sollogoub
[p. 249-264]

Lire l’Écriture sainte avec Olivier Clément
Nicolas Cernokrak
[p. 265-270]

Olivier Clément et l’esprit philocalique
Marc-Antoine Costa de Beauregard
[p. 271-276]

Olivier Clément et la littérature
Jean-Claude Polet
[p. 277-300]

La troisième beauté, affleurement du Royaume, dans l’œuvre d’O. Clément
Olga Lossky-Laham
[p. 301-314]

Olivier Clément et l’anthropologie
Bertrand Vergely
[p. 315-326]

Olivier Clément, à la croisée de mai 68 et de l’homme de la tradition
Andrea Riccardi
[p. 327-338]

« Dieu ne peut que donner son amour » – Connivence entre la recherche d’Olivier Clément et celle de Taizé
Frère Richard
[p. 339-352]

L’approche de la primauté romaine selon O. Clément est-elle recevable d’un point de vue catholique ?
Barbara Hallensleben
[p. 353-364]

Transfigurer le Temps : Olivier Clément, Théologien
Jeremy Ingpen
[p. 365-370]

En quête des sources : Olivier Clément interprète contemporain des Pères
de l’Église
Goran Sekulovksi
[p. 371-384]

Olivier Clément et la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale : une vision pour le service de l’Église
Daniel Lossky
[p. 385-400]

Olivier Clément, théologien de la modernité
Pantélis Kalaïtzidis
[p. 401-412]

Dialoguer avec l’Islam,
Un respect têtu
Emmanuel Pisani
[p. 413-424]

La Petite boussole spirituelle pour notre temps : un testament spirituel
Agnès von Kirchbach
[p. 425-432]

Quelques réflexions sur l’Eucharistie, foyer de l’existence ecclésiale, dans l’œuvre d’Olivier Clément
Michel Stavrou
[p. 433-441]

Chronique
[p. 442-444]

Bibliographie
[p. 445]