Contacts, n° 33

N° 33 – 1er trim. 1961

Liminaire

NÉCESSITÉ DE LA THÉOLOGIE

Jamais, comme cette année, la Semaine de prière pour l’unité n’avait provoqué tant d’intérêt, jusque dans les profondeurs du peuple chrétien. En ces temps d’unité planétaire où les limitations historiques des Nordiques et des Latins, des Occidentaux et des Orientaux, vont se trouver définitivement broyées par un immense processus de « mondialisation », cette impatience chrétienne des frontières ecclésiastiques, cette attente de l’autre et cette ouverture à l’autre ébauchent comme une réponse de l’Esprit.

Il ne faut pas qu’une si grande espérance soit déçue. C’est pourquoi une des tentations que nous devons surmonter, — que nous soyons ou non orthodoxes —, est sans doute le refus du verbe théologique : puisque, seule, la confession du Verbe venu dans la chair permet de discerner les esprits.

Certes, il est bien de mettre entre parenthèses la théologie, si l’on entend par là ces mauvaises philosophies (parce qu’elles n’osent pas dire leur nom ni s’avouer problématiques) qui veulent expliquer la Révélation, déduire Dieu de la pensée humaine, s’enfermant ainsi dans cette pensée déchue, la gonflant, au nom de l’absolu, de passions qui rejettent l’autre. Plutôt que l’Ecriture, ce sont les spéculations pseudo-théologiques de cette sorte qu’il faut «démythologiser» : car les seuls mythes redoutables, en définitive, pourraient être ceux de la raison.

Mais éviter la théologie serait ruineux si c’était le signe d’une paresse, une fuite dans l’affectivité, humanitaire ou vitaliste (il y a aussi un vitalisme liturgique !), en définitive le refus d’adorer Dieu « avec toute son intelligence ». Etre chrétien, c’est savoir que la vérité existe et que l’on peut, non certes l’emprisonner dans les paroles humaines, mais parler dans la vérité. Non certes penser la Révélation, mais penser par la Révélation.

Si l’œcuménisme n’est pas d’abord recherche passionnée de la vérité, s’il sépare l’amour et la vérité, s’il préfère inconsciemment Hegel à Abraham, — alors justement il sera condamné aux « vaines paroles ».

Peut-être faudrait-il rappeler que l’ecclésiologie — qui tout naturellement, préoccupe d’abord les spécialistes de l’œcuménisme, est en réalité dérivée : elle exprime, elle «incorpore» une théologie, puisque toute la vie de l’Eglise n’a d’autre sens que de constituer une « théognosie », le milieu où l’homme peut consciemment participer à la vie divine.

Et n’est-ce pas ce que pressent le peuple chrétien qui afflue aux rencontres œcuméniques ? Ce ne sont pas au fond les rapports du pape et de l’épiscopat qui l’intéressent, ou bien ceux du magistère et de l’Ecriture, mais l’attente des voies et moyens de la vie totale, dans un monde où, malgré tant de détresses, les âmes s’asphyxient peu à peu sous la graisse opaque du «bonheur». Les œcuménistes patentés souffrent de myopie ecclésiologique. Qu’ils prennent garde.

Ainsi, plus que jamais, nous orthodoxes, devons retrouver et pratiquer, dans la vraie tradition de nos Pères, une «théologie existentielle» qui transforme les mots en semences. Nous tous, chrétiens, devons chercher loyalement un usage sobre et grave de la parole, — en parlant à travers le silence de la prière et le silence de l’amour.

Certains chrétiens d’Occident, préoccupés au premier chef du dialogue entre Rome et la Réforme, voudraient ne voir dans l’Orthodoxie qu’un commode magasin d’accessoires, et la renvoyer à son chant. C’est oublier que le chant de glorification et d’adoration n’est pas une forme infantile de la parole théologique, mais à la fois son germe et sa fleur. Si l’Orthodoxie chante, c’est qu’elle a quelque chose à dire, une vision cohérente et originale dont elle prend de plus en plus conscience…

Les chrétiens oublieraient-ils que la foi véritable leur ouvre une expérience infinie que le vrai langage théologique suggère ? Alors ils seraient sans défense demain devant les expériences d’intégration humaine que vont poursuivre méthodiquement les titanismes contemporains, athées ou de « fausse gnose ».

Le silence de la théologie est au terme, dans la contemplation. Il ne saurait être au départ, à peine de livrer à de confuses démagogies ces foules avides de vérité vivante et nourricière.

Contacts

Sommaire

Liminaire
Nécessité de la théologie
[p. 1-3]

Les startsy d’Optino
[p. 4-14]
Vl. Lossky

Un philosophe en quête de l’Eglise
[p. 15-27]
E. Behr-Sigel

Les humbles iconographes de la période turque
[p. 28-38]
P. Kontoglou

Chronique
• Vers une théologie existentielle
[p. 39-51]
N. Nissiotis
• Ecclésiologie eucharistique et primauté
[p. 52-57]
O. Clément
• Un témoignage sur l’Eglise russe
[p. 58-64]
J. Beaumont
• Is tin polin
[p. 65-72]
L. Zander
• Schleswig 1960
[p. 73-75]
V. Kreger

Bibliographie
• Le Commonitorium – S. Vincent de Lérins
[p. 76-80]
• L’Eglise Orthodoxe hier et aujourd’hui – Jean Meyendorff
[p. 80-82]
• Histoire de la spiritualité chrétienne, I. : La Spiritualité du Nouveau Testament et des Pères – Louis Bouyer
[p. 82-85]
• Le Pédagogue – Clément d’Alexandrie
[p. 85-86]
• Origène : Esprit et Feu, t. II, Le Christ, Parole de Dieu – Urs von Balthasar
[p. 86-87]
• La Vie en Jésus-Christ – Nicolas Cabasilas
[p. 87]
• Le Messager Orthodoxe (numéros 10,11,12) – ACER
[p. 88]