Contacts, n° 54

N° 54 – 2e trim. 1966
(rupture de stock)

Liminaire

Devenir modeste

Pour un occidental, il n’est pas facile d’être orthodoxe. Les « micro-univers » juxtaposés de la Dispersion lui deviennent étrangers lorsqu’en jaillissent ces passions qui font des querelles juridictionnelles de tristes dialogues de sourds. Les fanatismes, les suffisances, les procès d’intention l’épouvantent. Il constate surtout que ces dissensions ralentissent la prise de conscience de la Dispersion, prise de conscience, donc de responsabilité qui seule, en définitive, l’intéresse. Il constate que l’Eglise russe, dont la douloureuse prière fonde et féconde mystérieusement sa propre recherche, a dû punir deux de ses meilleurs prêtres pour crime de vérité. Il constate que dans une Grèce où tant d’amitié l’accueille, un mouvement apostolique comme Zoï s’exténue et que rien encore n’est venu le remplacer. Il constate… mais à quoi bon continuer — sinon pour dire qu’au niveau de l’histoire, l’Eglise est bien le corps du Christ, mais crucifié par ses propres membres.

Pourtant on lui a appris, et il a reconnu par son expérience la plus intime, l’unité de la croix et de la lumière. Dans le grand arbre ecclésial foudroyé par l’histoire monte la sève, et le vent de la prophétie secoue ses branches… Là où le Ressuscité nous ressuscite par ses Mystères, là où se dressent les pneumatophores, là est l’Epouse, malgré tous ceux — à travers tous ceux — qui la prostituent.

C’est pourquoi, pour un Occidental, il est si grave et si libérateur d’être orthodoxe. Pour lui Dieu n’est pas mort, et la résurrection n’est pas un mythe. Dans sa profondeur, cette Eglise dérisoire n’est que joie.

Il ne s’agit pas de se réfugier dans la prière, comme disent avec mépris ceux qui ne savent pas combien elle engage. Il s’agit de vivre ses conséquences…

Ainsi notre travail dans cette revue, où se groupent des occidentaux devenus orthodoxes, et des orthodoxes par «nationalité» auxquels l’Occident a révélé l’universalité de l’Orthodoxie.

Dans nos difficultés ecclésiastiques présentes, ce service exige quelques attitudes fondamentales.

La première, c’est de servir avant tout la rencontre de l’Occident et de l’Orthodoxie pour communiquer plus lucidement, dans le grand partage œcuménique, l’expérience de celle-ci. C’est pourquoi nous devons tout faire pour éviter une séparation entre l’« orient » orthodoxe et ce qui se cherche, impur mais vivant, dans l’Orthodoxie occidentale (aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe) — c’est-à-dire entre une vie intense, douloureuse, mais qui s’exprime difficilement et une ecclesia quaerens qui s’incarne, difficilement.

La seconde, c’est de démystifier au maximum les querelles juridictionnelles en leur appliquant tous les acides de l’Occident, de la sociologie à la psychanalyse. L’exploration minutieuse et «réductrice» des facteurs «non-théologiques», si familière aux spécialistes de l’œcuménisme, trouverait ici un passionnant terrain d’application !

La troisième, c’est de ne jamais mettre en cause l’appartenance à l’Eglise d’un frère orthodoxe, même si nous ne pouvons être entièrement d’accord avec lui. Nous répudions ce terrorisme canonique qui, après avoir, dès la fin du moyen-âge en Occident, disqualifié l’Eglise aux yeux du monde, a fait rage, en notre siècle, entre les juridictions de l’émigration russe. Nous ne nions pas qu’il existe aujourd’hui, entre orthodoxes, de très graves problèmes. Mais nous affirmons, avec toute l’histoire de l’Orthodoxie, que les tensions, voire les schismes, se produisent à l’intérieur de l’Eglise et que la meilleure façon de les réduire c’est justement de les confronter à l’immuable unité de la foi et du sacrement.

Alors nous serons conduits à chercher le meilleur de l’autre, à donner à chacun la possibilité de s’exprimer, avec la certitude que tout ce qui est créateur finira par converger.

Mesurer simultanément la gravité du témoignage de l’Orthodoxie et le caractère — au niveau de l’histoire — si dérisoire de ses forces, c’est devenir modeste, c’est comprendre que les orthodoxes ont tous besoin les uns des autres, et que personne n’est de trop.

Contacts
N.D.L.R. Nous signalons à nos amis qui nous avaient demandé Prière et Sainteté dans l’Eglise Russe d’Elisabeth Behr-Sigel, ouvrage épuisé chez l’éditeur (Editions du Cerf), que nous avons pu en récupérer quelques exemplaires que nous tenons à leur disposition. L’ouvrage pesant 280 gr., son prix, franco, est de 3 fr. 70 qui peuvent être adressés à la Revue.

Sommaire

Liminaire
Devenir modeste
[p. 81-83]

Une approche de l’eschatologie orthodoxe
[p. 84-104]
R.P. Turincev

Franz von Baader et l’infaillibilité pontificale
[p. 105-126]
Archimandrite Séraphin

Chronique
• La musique liturgique orthodoxe [p. 127-141]
Maxime Kovalevsky

Bibliographie
• Sagesse hindoue. Mystique chrétienne – Dom Le Saux
[p. 142-144]
• Saint Maxime le Confesseur : Le mystère du salut
[p. 144]