Liminaire

Aujourd’hui que les « gémissements de l’Esprit » sont percep­tibles en tant de lieux, notre Eglise très vieille et très jeune doit lucidement partager ses trésors de prière. Ce numéro constitue une petite tentative dans ce sens.

Il réfléchit d’abord sur la prière liturgique, cette expérience charismatique offerte à tous dans une communion pacifiante. De la consultation orthodoxe de septembre 1975 à Etchmiadzine, nous avons retenu deux textes, celui du Métropolite Georges Khodre, et celui de l’archevêque arménien Shahe Ajamian. On y verra comment la participation liturgique au monde transfiguré donne au chrétien son véritable dynamisme historique qui à la fois relativise et métamorphose, communique la résurrection. Les notes sur L’Eschatologie dans la liturgie, dues à Wladimir Iljine, l’un des plus grands, et des moins connus, philosophes religieux de la dispersion russe, montrent de même dans la liturgie la blessure renouvelée à l’orgueil et à la violence de « ce monde » en même temps que l’appel à (et la force pour) illuminer le monde que Dieu a tant aimé qu’il a donné pour lui son Fils unique.

Les études et textes qui suivent sont consacrés aux voies personnelles — toujours communiantes — par lesquelles l’adoration liturgique, se mêlant aux soupirs de la création, au long cri de Job de l’histoire, doit devenir la profondeur même de notre être. Un des grands spirituels et théologiens orthodoxes d’aujourd’hui, le Père Justin Popovitch, dans un texte extraordinaire qu’il a bien voulu nous confier — La Biche dans le Paradis perdu — chante comme à mi-voix le chant de l’âme, des larmes, de l’amour. Là résonne le « deuil » cosmique des moines orthodoxes, où la « mémoire de la mort » s’inverse en «mémoire de Jésus». Dans son Témoignage, Marcel Ghelber lance des marges de l’Eglise, ou plutôt ses fondements bibliques, un cri prophétique, brûlant et rocailleux comme une lave, qui met en cause les pseudo-spirituali­tés rassurantes comme des drogues. Ce philosophe judéo-chrétien a longtemps vécu dans un pays de l’Europe du Sud-Est où, pour préserver son indépendance d’esprit, il s’est tenu dans l’obscurité acceptant les plus difficiles conditions de survie. L’un et l’autre, le Père Justin Popovitch et Marcel Ghelber, chacun à sa manière, nous rappellent le prix à payer, le « donne ton sang et reçois l’Esprit » des premiers moines.

Enfin trois brefs textes philocaliques, traduits par Jacques Touraille, nous aideront à mieux comprendre la voix hésychaste ; l’un décrit la rencontre d’un maître qui ne veut pas l’être, et deux commentent diversement les mots et les structures de l’invoca­tion : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. »

Ce numéro s’ouvre sur un poème de Lidia Staniloae, la fille de notre maître et ami le Père Dumitru. Poème où le merveilleux immémorial s’évangélise en se déchirant. En chronique on trouvera une très importante étude d’Elisabeth Behr-Sigel à propos du recueil Sous les décombres, composé en Union soviétique par des intellectuels chrétiens, parfois fort jeunes, et récemment paru en traduction française. Cette chronique, à propos notamment de la contribution d’Eugène Barabanov, reprend en mode d’interrogation ce qu’affirme dans sa Spiritualité liturgique le Métropolite Georges Khodre : comment briser la schizophrénie du piétisme pour que la lumière de la Transfiguration, qui sature la prière orthodoxe, devienne, dans la chair et le sang de l’existence toute entière, réellement transfigurante ?

Sommaire

Liminaire
[p. 1-2]

Un conte vrai
[p. 3]
Lidia Staniloae

La Prière Liturgique : La spiritualité liturgique
[p. 4-12]
Métropolite Georges Khodre

Confesser le Christ par la vie liturgique d’aujourd’hui
[p. 13-19]
Archevêque Shahe Ajamian

L’eschatologie dans la liturgie orthodoxe
[p. 20-27]
Wladimir Iljine

La Prière personnelle : La Biche dans le Paradis perdu
[p. 28-36]
Père Justin Popovitch

Témoignage
[p. 37-45]
Marcel Ghelber

Textes philocaliques
[p. 46-59]
Traduction Jacques Touraille

Chronique
• Des voix sous les décombres
[p. 60-69]
E. Behr-Sigel
• Un colloque Vladimir Soloviev à Paris
[p. 70-72]
E. Behr-Sigel
• Pourquoi le « Service Orthodoxe d’Information »
[p. 72-73]
Olivier Clément
• Chantilly, 1975
[p. 73-75]
N. Fuchs
• A propos de l’érotisme
[p. 76-77]
Olivier Clément

Bibliographie
• Les feux du désert – Daniel Ange
[p. 78-79]
• Le chant des bien-aimés – Pomeyrol
[p. 80-81]
• Le mal du siècle – Jean Héricourt
[p. 81-82]
• The Horizontal Line Synopsis of the Gospel – Reuben J. Jwanson
[p. 82]
• Du Jardin d’Eden à la Terre Promise – Phocas Angelatos
[p. 82-83]
• La Prière de Jésus de l’Eglise d’Orient – Vives Flammes
[p. 83]
• Trois disques religieux russes  – Russian Folk Ensemble
[p. 83]
• Célébrer la vie en Jésus-Christ – Unité chrétienne
[p. 83-84]
• Du bon usage de la religion – Jean-Claude Barreau
[p. 84-85]
• Theology and Prayer – Allchin et divers
[p. 85-89]