N° 101 – 1er trim. 1978
(rupture de stock)
Liminaire
Deux brefs poèmes de Dominique Gerbelaud résonnent au seuil de ce numéro, presqu’entièrement consacré à l’approche du mystère. La création de ce jeune poète français rejoint ainsi, illustre peut-être, l’exigence et l’expérience que tente d’exprimer un orthodoxe polonais, Michel Klinger dans ses Réflexions sur la prière : ce brisement de cœur, qui nous rend comme fous, en vérité « pauvres en esprit », cette descente en enfer pour ressusciter avec Lui — et en Lui tout ressuscite, jusqu’au dernier brin d’herbe, jusqu’au plus petit grain de poussière ; cet éclatement, dans l’étrange et sobre ivresse de la jubilation, de la conscience apparemment normale, en réalité déchue, déchirée, durcie… Signe des temps : désormais quelques hommes, en Occident, prennent à la lettre les paroles de l’Evangile sur l’esprit d’enfance : les enfants peuvent être méchants, remarque Michel Klinger, mais ils ont le sens de l’invisible. Enfin s’achève l’asphyxie d’une rationalité totalitaire : dans le choix entre deux « folies », celle qui est possession (par les drogues, l’érotisme, les sectes…) et celle qui est communion — par l’Eglise. Expérience d’enfance, de pauvreté en esprit, d’ivresse sobre, encore collectivement vécue par les foules qui prient dans les églises russes ou roumaines, métamorphose méthodiquement poursuivie, à travers la nuit et la mort, par les grands ascètes athonites.
Jacques Touraille, dans ses admirables Philocaliques, dont nous publions la fin (la première partie a paru dans le n° 99 de la revue), cherche un dépassement et un éblouissement semblables — art de mourir et de vivre pour les jeunes générations en situation d’apocalypse. Ce n’est pas par hasard que Touraille, comme Klinger, fait allusion à Rimbaud, cet annonciateur, en plein 19e siècle des « maîtres penseurs » et de la science prétendument absolue, d’une autre connaissance.
Michel Evdokimov, dans Quelques remarques sur le cœur dans la tradition orientale et dans les Pensées de Pascal, replace la tradition biblique et hésychaste cette connaissance-reconnaissance inséparable de la liturgie et de l’ascèse, et qui exige l’immersion comme baptismale de l’intelligence dans l’abîme d’un cœur renouvelé, devenu, de cœur de pierre, cœur de chair. Evdokimov lui aussi cherche en convergence avec certains aspects de la quête occidentale : il évoque Pascal, qui fut cher aux philosophes religieux russes, et qu’il situe dans le grand renouveau augustinien et plus largement patristique du 17e siècle français. Tout comme Jacques Touraille et Michel Klinger font allusion à la quête puissante et ambiguë de la poésie dans ce pays, Baudelaire et Rimbaud au surréalisme (il faudrait aller jusqu’aux grands poètes chrétiens contemporains, comme Pierre Emmanuel, Armel Guerne, Jean-Claude Renard). Il est bon que les orthodoxes qui vivent en France sachent déchiffrer, à la lumière de l’Eglise indivise, les mystiques et les prophètes de ce pays. Les artistes aussi : Paul Evdokimov proposait la canonisation de Van Gogh. C’est une boutade qui va loin.
Ainsi la plupart des idées rassemblées dans ce numéro convergent sur le thème, aujourd’hui fondamental, de l’approche, ou plutôt des approches du mystère. Par l’éveil du cœur, où l’homme se rassemble en s’excentrant, en se transcendant à la rencontre de la transcendance qui s’incarne. En se dilatant par là-même dans la grande unité catholique » Kat-holon : selon le tout, selon la plénitude du Christ en qui nous ne sommes plus séparés. Eveil qui déchire les prétentions de la rationalité, le quasi-somnambulisme de la « normalité », vertueuse aussi, pharisaïque, émerveillement bouleversant et paisible qui fait de nous des enfants perdus, trouvés, comme la brebis sur les épaules du Berger, comme le fils prodigue recevant l’anneau immérité, et cette prostituée à laquelle nous nous identifions avant d’oser communier et qui fut accueillie « parce qu’elle avait beaucoup aimé. » Le Père Stéphane Charalambidis apporte enfin une étude très documentée sur Le mariage dans l’Eglise orthodoxe — une voie « folle », elle aussi, pour l’esprit du temps. On admirera avec quelle délicatesse le Père Stéphane éclaire les difficiles problèmes du divorce, du remariage, du contrôle des naissances ? Il y a là des choses qui devaient être dites, quelque part entre l’appel à la déification et la miséricorde infinie.
Sommaire
Liminaire
[p. 3-5]
Approches du mystère :
– Poèmes
[p. 6]
Dominique Cerbelaud
– Réflexions d’un orthodoxe sur la prière
[p. 7-20]
Michel Klinger
– Philocaliques
[p. 21-35]
Jacques Touraille
– Quelques remarques sur le cœur dans la tradition orientale et dans les Pensées de Pascal
[p. 36-51]
Michel Evdokimov
Le mariage dans l’Eglise Orthodoxe
[p. 52-76]
Stéphanos Charalambidis
Notes de lecture
• Alexandre Boukharev : un théologien de l’Eglise russe en dialogue avec le monde moderne – Elisabeth Behr-Sigel
[p. 77-79]
Bibliographie
– Pour le Concile – Georges Hourdin
[p. 80]
– Paul Tillich et le symbole religieux – Jocelyn Dunphy
[p. 80-82]
– Spiritualita di Ambrogio Autperto – Claudio Leonardi
[p. 82-84]
– Le troisième peuple héraut d’espérance – G. Richard-Molard
[p. 84-85]
– Visages d’un auto-portrait – Zoé Oldenbourg
[p. 85]
– La mort et l’au-delà – Georges Habra
[p. 85-87]