Contacts, n° 184

N° 184 – 4e trim. 1998

Liminaire

Les échos concernant l’Eglise orthodoxe en Russie ne sont pas toujours faits pour nous rassurer. Des prêtres, des professeurs de théologie, des higoumènes particulièrement actifs sont démis de leurs fonctions, en butte aux critiques ou aux insultes de milieux « intégristes» qui, loin d’être majoritaires sont particulièrement bruyants, des livres sont brûlés ou mis à l’index. Des voix s’étaient élevées pour prédire cet état de division où se débattrait une Eglise rendue à la liberté: celle de mère Marie (Skobtsov) avant la guerre, ou plus près de nous celle du père Alexandre Men, pour qui l’unité de l’Eglise se maintenait grâce à la nécessité de faire bloc face à l’hostilité du pouvoir. Loin d’épuiser toute la réalité d’un peuple qui prie, reconstruit, panse les plaies de son âme, ces affrontements prévisibles sont sans doute la rançon de soixante-quinze années d’un bâillonnement idéologique, et l’appel à une traversée du désert douloureuse mais nécessaire. Curieusement, ils sont aussi le signe d’une vitalité religieuse, certes circonscrite à des milieux non majoritaires, mais bien étrangère à la lourde indifférence qui pèse sur nos sociétés. Ils préludent peut-être dans la souffrance, à la naissance d’une Eglise rendue à elle-même, libérée de la pression du pouvoir politique, purifiée par les immenses épreuves qu’elle aura connues tout au long de ce siècle.

Notre espérance repose aussi sur le témoignage des saints dont trois, morts en ce XXe siècle, sont évoqués dans ce numéro. Olivier Clément fait une étude attentive, chaleureuse, de la spiritualité du starets Silouane, dont les écrits furent publiés avec une longue préface par l’archimandrite Sophrony. La voie de la sainteté mène ici en enfer, où Dieu ne cesse de descendre, car « Dieu veut être aimé pour lui-même et non pour les délices que sa présence communique ». La douceur, la paix, la beauté de nos offices liturgiques ne doivent pas occulter l’existence de l’enfer dans le monde, qui affleure peut-être dans notre cœur. Daniel-Ange, qui fait rayonner l’Evangile parmi les jeunes, retrace avec tendresse le destin d’une sainte forte et noble, la grande-duchesse Elisabeth Fiodorovna, sœur d’Alexandra l’épouse de Nicolas II. Devenue moniale après l’assassinat du grand-duc Serge son mari elle met en œuvre un monachisme actif, inédit à l’époque, tourné vers le service des pauvres et des malades. Elle avait gagné les cœurs de la population de Moscou, et la police devra l’arrêter en cachette, par peur de manifestations. Le père Michel Evdokimov dresse un portrait aux multiples facettes d’un saint martyr, le métropolite Séraphim Tchitchagov, fils spirituel de saint Jean de Cronstadt, qui rassembla archives et témoignages pour présenter au tsar Nicolas Il le dossier de la canonisation de saint Séraphim de Sarov. Enfin, dans ce champ russe de la spiritualité nous avons ajouté une étude perspicace du philosophe Alain Durel, qui opère de féconds rapprochements entre un Dostoïevski, toujours aussi « moderne », et un Lévinas.

Les trois saints mentionnés plus haut – et pourquoi ne pas y ajouter Dostoïevski qui, comme le dit Berdïaev, est descendu aux enfers et y a perçu la lumière rédemptrice -, surent à travers les enfers du cœur, de la guerre, de la révolution, inverser les flammes de haine en flammes d’amour, et rappeler, comme l’avait fait en son temps le père Dimitri Doudko, qu’après le Golgotha ne peut venir que le tombeau vide embrasé de lumière. C’est dans cette espérance que nous devons accueillir les remous qui agitent l’Eglise russe que ses saints n’ont pas abandonnée. Car ils nous rappellent aussi que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 287-288]

Quelques notes sur la spiritualité du starets Silouane
[p. 289-305]
Olivier Clément

Elisabeth, grande-duchesse de Russie, nouvelle martyre
[p. 306-328]
Daniel-Ange

Le saint métropolite Séraphim (Tchitchagov). Un médecin du corps et de l’âme (1853-1937)
[p. 329-339]
Père Michel Evdokimov

Dostoïevski et Lévinas
[p. 340-347]
Alain Durel

Bibliographie
[p. 348-352]

  • « Maxime le Confesseur, médiateur entre l’Orient et l’Occident » – Jean-Claude Larchet
  • « Philosophie orthodoxe de la vérité. Dogmatique de l’Eglise  Orthodoxe. Tome V. » – Père Justin Popovitch
  • « L’orthodoxie. L’Eglise des sept conciles » – Timothy Ware
  • « L’expérience de Dieu dans la vie de prière » – Père Matta El-Maskîne
  • « Vases d’Argile. La pratique de la prière personnelle suivant la Tradition des saints Pères » – Gabriel Bunge
  • « La spiritualité orthodoxe et la philocalie » – Placide Deseille
  •  » Itinéraires – Recherches chrétiennes d’ouverture : l’Eglise  orthodoxe. Le  souffle de Pâques
  • « Buisson Ardent III. Salut personnel et salut du monde »