Contacts, n° 62-63

N° 62-63 – 2e & 3e trim. 1968
(rupture de stock)

Liminaire

La crise de mai, qui a retardé la mise au point de notre seconde livraison pour 1968, nous conduit à présenter à nos lecteurs un numéro double. Celui-ci s’ouvre sur un beau texte, inédit en Occident, d’un saint orthodoxe du 20e siècle — il est mort en 1920 —, Nectaire d’Egine. En ce temps où le « freudo-marxisme » vulgarise la notion d’éros, il est bon de lire ces pages où vibre une expérience personnelle : celle justement du véritable éros trouvant sa plénitude dans la grâce, au-delà de toute «unidimensionnalité» (c’est l’histoire, livrée à sa seule immanence, qui est toujours «unidimensionnelle»).

Plus loin, le numéro s’ordonne autour de deux grands thèmes. Il s’agit d’abord d’ébaucher une position orthodoxe dans les débats qui font rage actuellement sur la notion même de Dieu, débats au centre desquels se trouve la proclamation nietzschéenne de la «mort de Dieu». Un jeune théologien grec, Christos Yannaras, un des espoirs de la pensée orthodoxe contemporaine, résume ses recherches récentes qui l’ont amené à confronter le nihilisme ouvert de Heidegger et la théologie négative de l’Aréopagite. Son Commentaire sur la « mort de Dieu » montre que l’approche apophatique qui caractérise la tradition orthodoxe peut favoriser, dans la conjoncture spirituelle où nous sommes, un véritable retournement du nihilisme. Le théologien anglican D. A. Allchin, qui fut un ami et un disciple de Vladimir Lossky (dont il a traduit en anglais la Théologie mystique) présente la Contribution de l’Orthodoxie au débat sur Dieu, débat inauguré en Angleterre par le célèbre Honest to God de l’évêque Robinson. L’Orthodoxie, parce qu’elle ne sépare pas la théologie de l’expérience personnelle, ni celle-ci de la communion ecclésiale et de l’action liturgique pourrait suggérer un dépassement. « Une parole peut toujours en contester une autre, aimait à dire saint Grégoire Palamas, mais quelle parole peut contester la vie ? »

Le second thème, que nous aurions voulu mettre au centre d’un numéro habituel, est celui du diaconat dans l’Eglise orthodoxe. On sait l’actualité du problème en Occident, surtout dans l’Eglise catholique depuis la restauration du diaconat par le second concile du Vatican. Qu’en est-il dans l’Orthodoxie ? L’archidiacre Stéphanos Charalambidis, de la Métropole grecque en Europe occidentale, procède à une mise au point circonstanciée. Il étudie d’abord la notion de diaconie dans le Nouveau Testament où se fait le retournement de la volonté de puissance en volonté de service. Il examine ensuite le rôle du diacre dans l’Eglise ancienne : le diacre assume l’aspect social de la diaconie globale de l’évêque, il unit ainsi étroitement une fonction liturgique et une fonction caritative, le mystère du Christ dans l’eucharistie et le mystère du Christ dans le pauvre. Cette analyse de l’expérience ecclésiale originelle, dont l’esprit a quelque chose de normatif pour l’Orthodoxie, volatilise la notion postérieure d’une hiérarchie à trois degrés où l’on peut se demander si la pesanteur sociologique et la volonté de puissance n’ont pas repris leurs droits. Durant la période constantinienne en effet, où le service du pauvre est passé (en principe) à l’Etat et aux monastères, et où l’Eglise s’est rigoureusement hiérarchisée — non sans de vifs conflits entre prêtres et diacres, ni sans disqualification du laïcat —, la fonction diaconale, sans jamais disparaître, est devenue purement liturgique. Le P. Stéphanos, dans un dernier chapitre, étudie la situation actuelle et ses devoirs : il souhaite une réactivation de la dimension sociale du diaconat, en montrant toute l’importance qu’il y aurait à situer le service des hommes dans une perspective sacramentelle. Souhaitons qu’il soit entendu par le concile orthodoxe, dont la réunion dans les prochaines années semble maintenant acquise.

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Si « Contacts », comme la plupart des revues à notre époque, tend à centrer chacun de ses numéros sur un thème fondamental, nous souhaitons préserver aussi une diversité où s’exprime la spontanéité de la recherche et du témoignage. On trouvera donc dans ce numéro les «bonnes feuilles» d’un ouvrage de Gabriel Matzneff, Comme un feu mêlé d’aromates. Le jeune écrivain et journaliste évoque discrètement dans ces pages sa difficile métanoia, son destin écartelé entre un «défi» nietzschéen à la vie, un certain égotisme d’artiste et un attachement esthétique à l’Orthodoxie qu’un authentique père spirituel transforme peu à peu en rencontre du Christ. Olivier Clément analyse la relation — fort controversée — entre Nicolas Berdiaeff et la tradition orthodoxe et conclut à la nécessité pour la tradition, si elle veut rester vivante, de s’exprimer dans une ecclesia qui ne soit pas seulement docens mais quaerens.

Jacqueline Grunwald termine son importante étude sur Fédorov en montrant la féconde influence de celui-ci sur le dernier Dostoïevski, celui des Frères Karamazov. Puis nous donnons une importante mise au point de l’exarque du Patriarcat de Moscou en Europe occidentale sur le problème de la diaspora — ici aussi nous sentons que la tâche du futur concile se prépare d’une manière positive.

Enfin, en chronique, les textes de certaines prises de position orthodoxe pendant la « révolution » de mai. Que celle-ci ait constitué la manifestation d’une crise du sens et d’une crise de l’homme ne peut que nous confirmer dans notre effort.

Contacts

Sommaire

Liminaire
[p. 93-95]

De l’amour de Dieu
[p. 96-100]
S. Nectaire d’Egine

Commentaire d’un orthodoxe sur la « Mort de Dieu »
[p. 101-114]
Christos Yannaras (trad. Jacques Touraille)

La contribution de l’Orthodoxie au « Débat sur Dieu »
[p. 115-128]
A.M. Allchin

Le Service des Tables : Essai sur le diaconat dans l’Eglise Orthodoxe
[p. 129-159]
Archidiacre Stéphanos

Comme le feu mêlé d’aromates
[p. 160-178]
Gabriel Matzneff

Nicolas Berdiaeff et la Tradition orthodoxe
[p. 179-197]
Olivier Clément

Fedorov : L’homme et l’œuvre. III. Fedorov et Dostoïevski
[p. 198-223]
Jacqueline Grunwald

Les problèmes de la diaspora orthodoxe
[p. 224-227]
Métropolite Antoine Bloom

Chronique
• Quelques réactions orthodoxes à la crise de mai
a) Discerner les esprits
[p. 228-232]
Paul Evdokimov et Olivier Clément
b) Essai de discernement chrétien
[p. 233-241]
J. Bosc, O. Clément, M.J. Le Guillou
• La Commission inter-orthodoxe de Genève
[p. 242]
ICI. SOEPI

Bibliographie
• Anthologion. Tome I – P. Raes    [p. 243]