N° 97 – 1er trim. 1977
Liminaire
Que la foi puisse montrer aujourd’hui, dans nos temps où certains chrétiens se replient sur eux-mêmes tandis que les autres « capitulent devant le monde », une capacité d’inspiration créatrice, c’est ce que cette revue aimerait parfois exprimer. C’est pourquoi nous publions aujourd’hui quelques poèmes d’I.L.M. et les quelques passages majeurs du Petit traité d’innocence de Jean Bastaire. I.L.M. est une jeune femme orthodoxe de tradition et d’élection. Elle ne se paye pas de mots. Ses poèmes sont au ras d’une quotidienneté orante, dépouillée, et la foi surgit dans les interstices : « Toute ma vie est confuse / Mais tu es là ». Jean Bastaire, lui, est un des maîtres des études péguystes en France ; ses ouvrages sur Alain Fournier, Claudel et surtout Charles Péguy font autorité. Catholique, converti d’ailleurs à l’âge adulte, il est proche des sources de l’Eglise indivise et apparaît comme un des témoins du rapprochement qui s’opère aujourd’hui en France entre certains milieux catholiques et l’Orthodoxie. Son Petit traité d’innocence offre à l’homme de la société « sécularisée » une approche à la fois traditionnelle — au sens de la grande Tradition des Pères — et renouvelée de la croix, de la joie, de l’enfance intérieure, de la pureté du cœur, du mystère de l’amour humain ; tout culmine, en étroite convergence avec le sens patristique des énergies divines, à la transfiguration de la chair, à la toute puissance de la gloire.
Dans L’Eglise, espace de l’Esprit, texte d’une conférence prononcée à Notre-Dame de Paris le 24 octobre 1976, Olivier Clément rappelle que l’Esprit repose de toute éternité sur le Fils, constitue l’onction messianique de Jésus et donc fait de l’Eglise Corps du Christ le lieu d’une Pentecôte perpétuée, « pour la vie du monde ». Il essaie de clarifier le problème des charismes qu’il situe dans un cadre ecclésial de communion et d’« ordre » caritatif.
Un orthodoxe américain, William Bush, étudie Péguy à la lumière de la théologie mystique de l’Eglise d’Orient. Péguy, rappelons-le, partait avant tout de la vieille liturgie latine et de la volonté d’unir en profondeur les divers aspects de l’Evangile qui se sont séparés au cours des siècles dans l’histoire de la France, non seulement avec le schisme du 16e siècle entre le mystère et la liberté, mais avec celui du 19e entre lie « sacrement de l’autel » et le « sacrement du frère », pour parler comme saint Jean Chrysostorne. Ainsi aboutit-il à une recomposition profondément « orthodoxe » de l’Eglise indivise, comme le montre William Busch concernant notamment l’aspect « incarné » du christianisme de Péguy, comme sa vision d’une plénitude divine à la fois inaccessible et communiquée.
Nous continuons la publication de courts traités philocaliques de la fin du moyen âge byzantin, époque de synthèse dans ce domaine. C’est aujourd’hui le traité Sur la pratique hésychaste, de Calliste Télékoudès, traduit par notre ami Jacques Touraille. Il y a là des pages lumineuses sur la « célébration accomplie par le cœur dans l’Esprit », sur la paix qui l’accompagne, sur les larmes de repentir devenant larmes de joie, sur la formulation même de l’invocation, sur le discernement de l’illumination réelle et de l’illumination illusoire.
Enfin, le professeur Besse, en complément à sa belle étude parue dans le numéro précédent sur l’histoire de la sainteté en terre bulgare, nous donne la traduction d’une Vie de saint Grégoire le Sinaïte et de ses premiers disciples, apôtres de l’hésychasme en terre slave et roumaine, où l’on trouvera des indications précieuses sur cette grande transfusion de lumière qui s’est opérée au 14e siècle de l’Athos à l’Europe Orientale, jusqu’en Russie, par l’intermédiaire de la Bulgarie.
Dans la bibliographie, il faut souligner l’importance du récent ouvrage de Christos Yannaras, Personne et Eros, dont nous publions non seulement un compte rendu mais un passage de l’introduction traduit par l’auteur lui-même.
Sommaire
Liminaire
[p. 1-2]
Poèmes
[p. 3-4]
I.L.M.
Court traité d’innocence
[p. 5-24]
Jean Bastaire
L’Eglise, espace de l’Esprit
[p. 25-47]
Olivier Clément
Péguy à la lumière de la théologie mystique de l’Eglise d’Orient
[p. 48-60]
William Bush
Sur la pratique hésychaste (texte philocalique de Calliste Télikoudès)
[p. 61-65]
Traduit par Jacques Touraille
Vie de saint Grégoire le Sinaïte
[p. 66-76]
Traduit par Jean Besse
Notes de lecture
La Personne et l’Eros :
– Introduction – Christos Yannaras
[p. 77-78]
– Recension – Nicos Makris
[p. 79-83]
Bibliographie
• Le Livre des secrets d’Hénoch – trad. André Vaillant
[p. 84]
• L’attitude du serviteur – Michael Harper
[p. 84-85]
• La torture – Revue Unité des Chrétiens n° 27
[p. 85-87]
• Le courage d’avoir peur – M.D. Molinié
[p. 87-88]